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Introduction |
Depuis 25 années, près de 500 circulaires visant
l'application de la loi ont été recensées.
Elles émanent des différents ministères, principalement
de la Justice, de la Santé et de l'Intérieur. Environ
200 d'entre elles sont relatives aux dispositions pénales
et sanitaires.
Le nombre de circulaires est déjà un argument en
soi pour souligner les difficultés que rencontrent les personnes
chargées d'appliquer la loi, cette dernière ne parvenant
pas à convaincre ni à imprimer une ligne précise
à l'action de l'Etat.
A l'origine des difficultés d'application de la loi, on
note que la loi ne définit pas le toxicomane, qu'elle ne
distingue pas le traitement applicable entre les différents
usages (occasionnel ou d'habitude) et qu'elle ne fait pas non plus
de distinction entre les diverses drogues.
Nous nous intéresserons essentiellement à la mise
en oeuvre des réponses à l'usager de stupéfiants
dans la mesure où c'est elle qui suscite les plus vives critiques.
En outre, concernant le trafic, la politique pénale est souvent
largement conditionnée par celle relative à l'usage,
et par la conception que se font les acteurs répressifs du
trafiquant. Celle-ci est souvent fondée sur les quantités
détenues au moment de l'interpellation et sur le contexte
local.
Toutefois, quelques parquets frontaliers et notamment le TGI de
Lille, afin de privilégier une réponse rapide, renvoient
certains trafiquants, en se fondant sur le seul délit douanier
de contrebande, en comparution immédiate puisqu'ainsi la
peine encourue ne dépasse pas 3 ans d'emprisonnement.
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Trois évaluations officielles |
Trois rapports officiels ont eu pour objet l'analyse du texte de
loi et de sa mise en oeuvre.
Le rapport "Pelletier"
Le premier rapport en 1978 est rédigé par un groupe
de travail présidé par Monique Pelletier, à
la demande du président Giscard d'Estaing (Pelletier Monique,
Rapport de la mission d'étude sur l'ensemble des problèmes
de la drogue, Paris, La Documentation française, janvier
1978).
Les membres de la mission d'étude expriment la volonté
de consolider et développer un système spécialisé
de prévention et de soins, sur la base d'options découlant
de la loi de 1970.
Ils soulignent également les principales difficultés
d'application de la loi de 1970 en matière d'usage de stupéfiants,
difficultés qui résultent d'une part des inégalités
du traitement réservé à l'usager de drogue,
du fait notamment de l'absence de catégorie intermédiaire
entre l'usager et le trafiquant, et, d'autre part, des difficultés
de collaboration entre médecins et magistrats et des incertitudes
de l'injonction thérapeutique.
Suite à ce constat, ils proposent de procéder, pendant
une période de 3 ans, à une application "loyale
et effective" de la loi de 1970, l'idée étant
de "donner une nouvelle chance à la loi de 1970, en
mettant en place les conditions d'application de celle-ci, et en
cherchant à rendre plus aisé le fonctionnement du
système". Il convient notamment d'élaborer des
circulaires d'application précises rappelant certains principes
perdus de vue ou consacrant certaines orientations plus récentes,
de prévoir des moyens matériels et financiers pour
que les modalités de traitement prévues se réalisent,
tant sur le plan médical que judiciaire, et encore, de veiller
à la création des équipements nécessaires
sur le plan sanitaire, éducatif et pénitentiaire.
Ainsi, les principales orientations de ce rapport furent mises
en place dans les quatre années qui suivirent sa publication
(création de la catégorie de l'usager revendeur par
exemple).
Le "rapport Trautmann"
Un deuxième rapport est commandé en 1989 à
Catherine Trautmann (Trautmann Catherine, Lutte contre la toxicomanie
et le trafic de stupéfiants, rapport au premier ministre,
La Documentation française, 1990), alors présidente
de la Mission interministérielle de lutte contre la toxicomanie
(MILDT).
Après avoir examiné les données du problème,
établi l'inventaire des difficultés et le bilan de
dix années d'action des pouvoirs publics, les auteurs du
rapport orientent leurs propositions vers une répression
du trafic plus efficace, soulignant la nécessité pour
les services de préparer leur adaptation à la suppression
des frontières intra-communautaires et de développer
la coopération entre services nationaux. En matière
de prévention, les actions devraient être axées
sur la prévention primaire, c'est-à-dire celles qui
consistent à éviter l'apparition de nouveaux cas de
toxicomanie. Enfin, l'action auprès des toxicomanes doit
être orientée vers les soins, l'insertion et la réinsertion,
ce qui implique une amélioration du dispositif spécialisé
existant, la prise en compte des problèmes liés au
VIH et la mise en place d'un système de financement solide
et bien géré.
Le "rapport Henrion"
Enfin, en 1994, le troisième rapport est rédigé
par Robert Henrion (Henrion Roger, Rapport de la commission de réflexion
sur la drogue et la toxicomanie, ministère des Affaires sociales,
de la Santé et de la Ville, Paris, La Documentation française,
mars 1995), président de la commission de réflexion
mise en place à cette occasion.
Il est intéressant de constater que les trois rapports conduisent
des conclusions similaires malgré les différentes
époques auxquelles ils ont été réalisés.
Ainsi, le rapport Henrion souligne que dans les quinze années
qui ont suivi l'entrée en vigueur de la loi de 1970, celle-ci
a suscité méfiance et incompréhension chez
beaucoup des acteurs dont elle avait pour objet de coordonner l'action,
magistrats et médecins évoluant dans des mondes étanches,
voire antinomiques. Les blocages sont également nés
de l'insuffisance de moyens mis à la disposition de la justice
pour faire appliquer correctement la loi. Au final, l'application
de la loi paraissait être fortement liée aux conditions
locales, en particulier aux relations entre le parquet, la DDASS
et les institutions spécialisées, relations excellentes
dans certains endroits, pratiquement inexistantes dans d'autres.
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Les circulaires d'application |
Les circulaires ont pour objectif à la fois de préciser
les conditions d'application de la mesure et de tenter d'harmoniser
les pratiques correspondant alternativement à une priorité
donnée à la répression ou aux questions de
santé publique.
Entre 1970 et 1984, la logique sanitaire semble primer dans la
politique dessinée par les circulaires :
- en 1971, les juges sont exhortés à ne pas utiliser
la contrainte pour l'exécution de l'injonction thérapeutique
et à ne pas exercer de contrôle sur son exécution
(Circulaire n° 71-8 du 25 août 1971 relative à
la prévention de la toxicomanie et répression du
trafic et de l'usage de stupéfiants),
- en 1973, la police et les parquets sont invités à
ne retenir que l'usage dans les cas de détention de faibles
quantités de substances (Circulaire du garde des Sceaux
aux procureurs de la République, n° 73-11 du 30 mars
1973),
- en 1978, les juges sont invités à l'application
d'une mise en garde non coercitive - à savoir l'exhortation
- adressée aux usagers de drogues "douces" ou
"dures", même multirécidivistes, à
contacter un centre ou une personne spécialisée,
et à utiliser l'injonction thérapeutique seulement
en cas d'échecs réitérés (Circulaire
JUS 69 F 389 du 17 mai 1978),
- en 1984, une dernière circulaire recommande de privilégier
la qualité d'usager sur celle de trafiquant dans les cas
d'usagers revendeurs (Circulaire CRIM 84-15-E2 du 19 septembre
1984, BOASS n° 52 du 21 février 1985).
- A partir de 1986, la tendance s'inverse. La circulaire du ministre
de la Justice du 12 mai 1987 marque une accentuation de la répression
avec la création de la catégorie des usagers revendeurs,
écartés de l'alternative sanitaire ( Circulaire
CAB 87-02 du 12 mai 1987).
A la fin des années quatre-vingt, deux questions d'actualité
vont ramener sur le devant de la scène publique la question
de l'alternative sanitaire : le sida et les hépatites qui
affectent la population toxicomane, et la question de l'exclusion
sociale et de l'accès aux soins des plus démunis.
La santé publique reprend le pas sur la répression
: il faut protéger les toxicomanes des maladies et il faut
faciliter l'accès aux soins, voire leur assurer une couverture
sociale.
A cette époque se développe l'argument repris dans
toutes les circulaires postérieures, selon lequel l'injonction
thérapeutique met l'usager en contact avec le système
de soins. Il faut donc la réactiver.
Le développement de l'injonction thérapeutique est
un objectif clairement affiché par le plan gouvernemental
de lutte contre la drogue du 21 septembre 1993.
Cette volonté de relance de l'injonction thérapeutique
observée dans les circulaires à partir de 1990 va
se traduire par une augmentation du nombre de mesures prononcées
par les juridictions mais également par une accentuation
des disparités régionales.
Ainsi, en 1994, sur 175 tribunaux de grande instance :
- 38% n'ont prononcé aucune mesure,
- 23% en ont prononcé de 1 à 10
- 10% plus de 100.
Les concentrations des mesures dans quelques juridictions sont
très fortes : ainsi, les tribunaux de Bobigny, Paris, Créteil,
Metz, Meaux, Nanterre et Lyon totalisent 53% des mesures prononcées
sur le territoire national en 1994.
Il faudra néanmoins attendre 1995 pour qu'une circulaire
conjointe des ministères de la Justice et de la Santé
relance cette mesure (Circulaire conjointe DGLDT/CRIM/DGS n°
20 C du 28 avril 1995, relative à l'harmonisation des pratiques
relatives à l'injonction thérapeutique, BO Justice
n° 58 du 30 juin 1995).
Ce texte fixe les conditions dans lesquelles l'usage de l'injonction
thérapeutique pourrait être étendu, non seulement
sur le territoire français, mais dans les affaires susceptibles
de recevoir une telle orientation.
Mais elle tend à la restreindre à certains produits
: "il conviendrait, à cet égard, que ne fassent
l'objet d'injonctions thérapeutiques que les usagers de stupéfiants
tels que l'héroïne ou la cocaïne, ou ceux qui s'adonnant
au cannabis en font une consommation massive, répétée
ou associée à d'autres produits (médicaments,
alcool ...).
Un bilan d'application de cette circulaire a été
diligenté par le ministère de la Justice (Sagant V.,
Bilan de l'application de la circulaire du 28 avril 1995 concernant
l'harmonisation des pratiques relatives à l'injonction thérapeutique,
ministère de la justice, janvier 1997).
Il fait apparaître la diversité des pratiques et des
conceptions que se fait chaque parquet de l'injonction thérapeutique,
certains la considérant comme une mesure préventive,
d'autres comme une mesure d'accès aux soins et enfin, certains
comme une réponse intermédiaire entre le classement
"sec" et les poursuites.
Une deuxième circulaire de la même date indique que
l'harmonisation des pratiques en matière d'injonction thérapeutique
est indispensable et qu'il faut "veiller à ce que cette
possibilité soit offerte à tous les usagers".
Or, à l'heure actuelle, cette mesure ne concerne qu'une part
marginale des personnes interpellées pour usage (approximativement
1/7ème).
Actuellement, de nombreuses voix continuent de s'élever
en faveur d'un changement législatif, les choix entre poursuite
de l'usage et injonction thérapeutique n'étant pas
clairs et les disparités régionales persistantes.
Les articles de presse spécialisée restent toujours
très critiques sur l'injonction thérapeutique. Ils
considèrent que "la formule génère la
confusion des genres et le malaise de chacun : le prévenu
toxicomane n'est pas un prévenu comme les autres, le magistrat
devient un prescripteur médical et le médecin, l'exécutant
d'une sentence" (Chenu Jeanne, Résultats décevants
pour l'injonction thérapeutique, Interdépendances,
n° 27, juin-juillet 1997, pp. 37-38).
Le décalage entre la sévérité de la
loi et la pratique est particulièrement préjudiciable
dans ce contentieux sur lequel les jeunes sont particulièrement
sensibilisés.
En collaboration avec l'IHESI (Institut des Hautes
Etudes de la Sécurité Intérieure) |
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