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Les opiacés |
Pavot
Il existe une seule espèce de pavot capable de produire
de l'opium, Papaver somniferum, dont on connaît au moins une
quarantaine de variétés qui poussent sur tous les
continents. Les caractéristiques de certaines d'entre elles
sont recherchées en fonction de certains usages : pour les
graines, utilisées dans la pâtisserie ou pour faire
de l'huile; pour extraire de l'opium destiné à la
fabrication de morphine et d'héroïne; pour la fabrication
de morphine en partant directement de la paille sèche de
pavot et des capsules sèches non incisées...
- Papaver somniferum, album, glabrum, et setigerum. Appelé
aussi pavot blanc d'Orient. C'est la variété la
plus communément cultivée pour l'extraction de l'opium.
Les fleurs et les graines sont blanches.
- Papaver somniferum nigrum. Dans certaines régions d'Europe
et d'Asie, il existe, pour en extraire l'huile et parfois l'opium,
des cultures de Papaver somniferum nigrum, dont les fleurs sont
d'un rouge violacé et les graines noires.
Cocaïer
- Coca Huànuco ou Bolivienne (Erythroxylum coca
var. coca) : sa zone géographique s'étend de l'Équateur
jusqu'au nord de l'Argentine sur le flanc est de la cordillère
des Andes, dans des zones humides, entre 500 et 1500 m, voire
2000 m, dans certaines régions. Cette variété
est très prisée pour ses feuilles à "mâcher"
(acullicu) mais représente également une part importante
de la coca destinée au marché de la cocaïne.
- Coca Trujillo (Erythroxylum novogranatense var. truxillense)
: plus adaptée à un climat aride, cette variété
s'est développée sur la côte Pacifique depuis
l'Équateur jusqu'au Chili durant la période des
Incas. Actuellement, elle n'est cultivée que sur la côte
péruvienne. Les plantations actuelles approvisionnent la
firme Coca-Cola, pour environ 700 t par an. En effet, cette variété,
peu intéressante pour la production de cocaïne du
fait de son contenu plus faible en alcaloïde, connut néanmoins
beaucoup de succès au XIXème siècle pour
la fabrication de vins et tonics du fait de sa richesse en essences
aromatiques.
- Coca Colombienne (Erythroxylum novogranatense var. novogranatense)
: cette variété supporte des conditions climatiques
plus sèches. Elle se cultive dans les vallées centrales
des Andes colombiennes et le long de la côte des Caraïbes.
Durant la période pré-hispanique, elle s'étendait
jusqu'au Venezuela, l'Amérique centrale et les Caraïbes.
Elle est désignée sous le nom de hayo et yaat. Le
nom khoka qui signifie arbuste en aymara n'a été
généralisé à l'ensemble du continent
que sous l'empire espagnol. Elle continue à être
cultivée et à faire l'objet d'un usage traditionnel
en Colombie dans la zone du Cauca, par l'ethnie Paez, et dans
la Sierra Nevada de Santa Marta par l'ethnie Arhaucos.
- Coca Ipadu (Erythroxylum coca var. coca) : découverte
plus récemment, au milieu du XIXème siècle,
elle est cultivée depuis en Amazonie brésilienne,
en particulier par les Tukanu de l'Alto Rio Negro.
Les dérivés de la coca
- Pâte base de cocaïne (PBC) : première
étape dans la fabrication du chlorhydrate de cocaïne,
la pâte base est en fait un précité des alcaloïdes
de la feuille de coca, sous forme de sels. Mélangée
à du tabac, elle est fumée sous le nom de basuco.
- Chlorhydrate de cocaïne (ou cocaïne HCI) :
plus connu sous le nom de cocaïne ou coke, le chlorhydrate
de cocaïne est la poudre obtenue par une suite de réactions
chimiques qui permettent d'isoler le principe actif de la coca.
Le chlorhydrate de cocaïne peut être inhalé
(sniffé) ou injecté.
- Cocaïne à base libre : la cocaïne à
base libre (pure à près de 100%) est obtenue par
raffinage de la pâte base de cocaïne ou du chlorhydrate
dans le but d'obtenir des cristaux fumables. Les deux formes les
plus couramment fabriquées sont le free-base et le crack.
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Le cannabis |
Cannabis sativa, ou chanvre indien : herbe annuelle dioïque
(mâle et femelle sur des plants séparés), aux
feuilles découpées et palmées. Elle forme,
avec le houblon, Humulus lupulus, le genre des cannabinacées.
L'espèce est caractérisée par une forte plasticité
génétique et compte plus d'une centaine de variétés
dans le monde. Selon les latitudes, l'aspect de la plante comme
ses concentrations en principes actifs, les cannabinoïdes,
varient fortement, au point que certains auteurs ont cru pouvoir
distinguer deux sous-espèces:
- Cannabis sativa sativa, dont les pieds atteignent 3m
de hauteur, faiblement active, cultivée pour ses fibres
et ses graines dont on extrait de l'huile et qui servent de nourriture
pour oiseaux, le chènevis.
- Cannabis sativa indica, aux pieds courts et touffus,
à résine plus riche en cannabinoïdes, cultivée
dans les régions chaudes.
Au nord du 30éme parallèle, les plants du cannabis
sont généralement considérés comme du
chanvre à fibres. Cependant, cette règle n'est en
rien absolue : les microclimats sont nombreux. Dans le Midwest américain,
l'analyse des plants de chanvre textile "échappés"
des champs proches et retournés à l'état sauvage
a montré un niveau très élevé de principe
actif, de 2,3 à 7,1% de THC... Par ailleurs, le cannabis
s'adapte par sélection naturelle aux conditions de sol, de
climat et de traitement qu'il rencontre. La sélection peut
s'effectuer sur des plants issus de semences importées et
par croisement.
Sinsemilla : variété femelle obtenue par hybridation
pour la production de marijuana. Elle est cultivée essentiellement
au Mexique, aux États-Unis et aux Pays-Bas. Sa teneur en
principe actif est très supérieure à la moyenne
: alors que le chanvre à fibres ne contient que 0,1% de THC
et les meilleures plantes à résine aux alentours de
10%, la sinsemilla américaine dépasse couramment 20%
de THC et son homologue hollandaise, la Nederwiet, atteint 40%.
Principes actifs
Outre quelques 61 cannabinoïdes identifiés, le cannabis
contient plus de 300 composants chimiques. La très grande
complexité de leur interaction fait du cannabis une des plantes
les plus rétives à la synthèse biochimique.
- THC, ou L-9-tétrahydrocannabinol : principe le
plus psychoactif du cannabis, isolé en 1964. Il peut parfois
respecter jusqu'à 90% des cannabinoïdes présents
dans la plante. On le trouve surtout dans la résine des
poils glandulaires des feuilles, des tiges et surtout des sommités
fleuries.
- CBD, ou cannabidiol : cet autre cannabinoïde n'est
pas psychoactif dans sa forme pure. Il a des effets sédatifs,
analgésiques et antibiotiques. Son interaction avec le
THC en potentialise les effets dépresseurs et en limite
les effets euphoriques, tout en allongeant la durée d'action
des effets psychoactifs. Les plants les plus résineux en
possèdent un taux élevé.
Marijuana et dérivés
- Marijuana : nom générique donné
à "l'herbe" de cannabis. On l'appelle kif au
Maroc, et ganja en Inde. Les feuilles et les tiges de la plante
sont séchées puis broyées pour être
fumées, pures ou mélangées à du tabac.
- Haschich ou résine de cannabis : de couleur verdâtre,
brun-beige ou noire, elle est raclée sur les feuilles sommitales
ou obtenue sous forme de poudre en secouant les plants séchés.
Chauffée et compressée, elle est conditionnée
sous forme de blocs ou plaquettes. Les indiens l'appellent charas.
Au Maroc, la poudre de résine s'appelle chira. Sa teneur
moyenne en THC varie de 6% (Maroc) à 25% (Pakistan, Afghanistan).
Les plants les plus résineux sont issus de semences de
Tchécoslovaquie, du Liban, du Maroc, d'Afghanistan, du
Pakistan et du Népal et contiennent généralement
plus de CBD que de THC. Ces variétés permettent
d'obtenir un haschisch de niveau élevé, en puissance
comme en quantité, mais une marijuana, sauf exception,
de faible qualité. Le cannabis mexicain produit très
peu de résine mais une herbe réputée. Ces
différences expliquent en grande partie que, par l'extension
du marché de consommation dans les années 60, ces
différentes régions se soient spécialisées,
soit en haschich, soit en marijuana.
- L'huile de cannabis est un dérivé extrêmement
concentré, obtenu par distillation d'un mélange
de haschich et d'alcool pharmaceutique. Il est surtout employé
au Moyen-Orient. En Colombie, sa production pour l'exportation
est à l'origine d'une relance des cultures de cannabis
qui occupaient de 8 à 10 000 ha en 1995.
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Les drogues de synthèse |
Designer drugs (drogues à la carte) : variantes de
psychotropes soumis à un contrôle. Leurs producteurs
modifient légèrement la structure chimique d'une substance
illicite de manière à obtenir une molécule
nouvelle, aux effets similaires, qui ne pourra tomber sous le coup
de la loi qu'une fois identifiée et inscrite sur la liste
des drogues contrôlées.
Opiacés de synthèse : produits, généralement
fabriqués à partir de sous-produits du goudron, de
la houille et du pétrole, ayant des propriétés
analgésiques similaires à la morphine.
Buprénorphine et méthadone : principaux substituts
de l'héroïne utilisés dans le traitement de la
toxicomanie.
Phénylpipéridines : famille de plusieurs
milliers d'opiacés de synthèse, parmi lesquels on
compte notamment deux groupes :
- La mépéridine (éthyl-1-méthyl-4-phénylpipéridine-4-carboxylate)
et ses dérivés sont commercialisés sous divers
noms : MPPP (ou "héroïne synthétique"),
MPTP, PEPAP...Ils ont des effets hallucinogènes;
- Le fentanyl et ses dérivés : puissant analgésique
découvert en Belgique, en 1963, par les laboratoires Janssen.
Apparu aux États-Unis au début des années
70, d'abord pour doper des chevaux de course, il donne naissance
à de multiples designer drugs.
Après l'interdiction aux États-Unis en 1981 de l'alphaméthylfentanyl
(ou China White), lui succéderont le 3-méthylfentanyl
(mille fois plus puissant que l'héroïne) et l'alpha-méthylacétylfentanyl.
Le 3-méthylfentanyl est produit aujourd'hui en CEI.
Amphétamine (et dérivés) : de "a(lpha)-m(éthyl)-ph(ényl)ét(hyl)amine",
aminé synthétique dont la structure chimique ressemble
à celle des neurotransmetteurs adrénergiques. Effet
de stimulation intellectuelle et verbale, masquant les signes de
fatigue, le sommeil et la faim. On appelle l'amphétamine
et ses dérivés "drogues du travail" ou "cocaïne
du pauvre".
Environ 2000 dérivés amphétaminiques ont été
étudiés.
- Speed : surnom de sulfate d'amphétamine (ou nenzédrine),
la forme la plus simple de ce type de drogue, conditionnée
en comprimés.
- Ephédrine : principal alcaloïde des quelque
quarante espèces d'arbuste du genre Ephedra, plante utilisée
par les Chinois depuis cinq mille ans pour le traitement de l'asthme
et comme stimulant. Principal précurseur de la méthamphétamine.
- Méthamphétamine : dérivé
amphétaminique aux puissants effets stimulants vendu légalement
sous le nom de Pervitine. Synthétisée au
Japon en 1919. La forme cristallisée et fumable du chlorydrate
de d-méthamphétamine est baptisée ice, shabu,
crystal ou crank.
- Methcatinone (ou "cat") : produit à
base d'éphédrine naturelle ou synthétique
de structure identique à la méthamphétamine
et à la catinone (principe psychoactif du cat ou Cathis
edulis, arbres dont les feuilles sont mâchées pour
obtenir un effet stimulant au Yémen et dans la Corne d'Afrique).
Elle se présente sous forme de poudre qui peut être
sniffée, bue, injectée ou fumée avec de la
marijuana. Découverte en Allemagne en 1928, utilisée
dans le traitement des dépressions en Union Soviétique
dans les années 40, puis comme anorexique aux États-Unis
après 1957. Des laboratoires clandestins apparaissent en
1982 en URSS (Leningrad), où elle est baptisée ephedrone.
Aux États-Unis, le marché clandestin se développe
à partir du Michigan en 1991.
- Phényléthylamines : famille d'analogues
de la mescaline et de l'amphétamine. alexander Shulgin,
"inventeur" de l'ecstasy, a décrit la synthèse
de 179 d'entre elles. Certaines ont un effet hallucinogène
prononcé (2C-B, DOM), d'autres, enfin, combinent effets
hallucinogène, stimulant et hypertenseur (MDA, MDMA, MDEA).
Classification de la famille des Phényléthylamines
:
- MDA (3,4-méthylènedioxyamphétamine)
: surnommée Love Drug ou "pilule de l'amour".
Apparu sur le marché illicite de la Côte Ouest des
États-Unis en 1968.
- MDMA (3,4- méthylènedioxymétamphétamine)
: analogue de la MDA connu sous le nom d'ecstasy, Adam, E, X,
XTC... D'abord interdit en Grande-Bretagne en 1977 (en 1985 aux
États-Unis).
- MDEA ( 3,4- méthylènedioxéthylamphétamine)
: variante de l'ecstasy produite aux Pays-Bas et connue sous le
nom de Eve.
- DOM (2,5-diméthoxy-4-méthylamphétamine)
ou STP ("sécurité, tranquillité,
paix") : un des plus puissants hallucinogènes connus,
synthétisé par Alexander Shulgin.
- 2C-B ou Nexus (4-bromo-2,5-diméthoxyphényléthylamine)
: hallucinogène apparu en Floride en 1993, puis à
Londres. Laboratoires présumés en Afrique du Sud.
Hallucinogènes
- Kétamine : analgésique chirurgical apparu
au début des années 90 dans les discothèques
new-yorkaises sous le nom de Special K.
- LSD 25 (diéthylamide d'acide lysergique) : dérivé
de l'acide lysergique, alcaloïde de l'ergot de seigle. Généralement
surnommé "acide" et distribué sous formes
de vignettes imprégnées de 20 à 80 mg de
produit.
- Phencyclidine (ou PCP) : analgésique médical
de la famille des arylcycloalkylamines apparu en 1957. Également
appelé Angel Dust ("poussière d'ange"),
le PCP a cessé d'être utilisé en 1965, en
raison de ses puissants effets hallucinogènes. Converti
en tranquillisant vétérinaire, sa production a été
prohibée en 1978. Commercialisé sous forme de cigarettes,
imprégnées de base diluée dans de l'éther.
La pipéridine (voir opiacés de synthèse)
sert de précurseur principal dans la fabrication de PCP.
Dépresseurs du système nerveux central : il
s'agit des tranquillisants, régulateurs d'humeur et somnifères.
Ce sont parfois des produits de laboratoires clandestins mais, le
plus souvent des médicaments licites détournés
de leurs usages thérapeutiques.
- Barbituriques : produits utilisés en médecine
pour leurs propriétés sédatives et hypnotiques.
Le sécobarbital, qui entre dans la composition de certains
d'entre eux, est classé comme stupéfiant et fait
l'objet d'un intense trafic vers l'Afrique.
- Benzodiazépines : principale famille de tranquillisants.
Elle comprend notamment le diazépam (Valium), le
chlorazépam (Tranxène), le flunizépam
(Rohypnol), le temazépam (populaire dans le nord-est
de l'Angleterre et à Londres)...
- Méthaqualone : sédatif non barbiturique
hypnotique synthétisé en 1951, connu aux États-Unis
sous le nom de Quaalude et sous celui de Mandrax, en Afrique australe,
où il est consommé avec de l'alcool et de l'herbe
de cannabis.
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Les précurseurs chimiques, drogues en puissance |
Mis à part les dérivés du cannabis et l'opium
brut, toutes les drogues sont le résultat d'une transformation
qui nécessite quantité de produits chimiques, par
exemple :
- 1 litre d'anhydride acétique pour produire 1 kg d'héroïne
- 17 litres d'éther pour 1 kg de chlorydrate de cocaïne.
Si une vingtaine de produits chimiques peuvent être utilisés
dans l'élaboration de la cocaïne, il est virtuellement
impossible de dresser une liste limitative des produits entrant
dans la composition des drogues synthétiques. Par souci de
simplification, nous appellerons toutes ces substances "précurseurs",
même si les techniciens opèrent une distinction entre
les précurseurs proprement dits, qui entrent dans la composition
chimique du produit fini et les matières chimiques essentielles
qui sont des réactifs ou solvants utilisés dans le
processus d'extraction des alcaloïdes d'une drogue végétale
naturelle.
La réglementation du commerce international des précurseurs
n'est intervenue que tardivement. Ainsi, les gouvernements signataires
de la Convention de 1971 sur les substances psychotropes n'ont rien
prévu pour les précurseurs de ces drogues synthétiques.
Cet "oubli" s'explique largement par l'opposition résolue
de l'industrie chimique à toute restriction du commerce.
Les Américains précurseurs du contrôle
Les Américains, les premiers mettent l'accent sur cette
faille du dispositif répressif. Pendant les années
70, ils s'efforcent d'obtenir de leurs partenaires dans la "guerre
à la drogue" l'adoption de réglementations strictes.
En 1979, par exemple, la Thaïlande met en place un contrôle
sur les matières essentielles au raffinage de l'héroïne
dans le Triangle d'Or. Lorsqu'arrive l'épidémie de
consommation de cocaïne, il apparaît rapidement que l'essentiel
de l'effort doit porter sur les pays exportateurs de produits chimiques
et, au premier chef..., les États-Unis. En 1981, la DEA estime
que 40 à 70% des dissolvants exportés par des pays
andins sont utilisés dans des laboratoires de clandestins
de cocaïne. C'est le cas dans 87% du permanganate de potassium
exporté depuis le Texas et la Louisiane vers l'Amérique
latine, de 98% de l'éther importé par la Colombie...
En 1988, le Chemical Division and Trafficking Act entre en vigueur
malgré l'opposition des géants de l'industrie américaine,
comme Exxon Chemicals ou la Chemical Manufacturers Association.
Cette loi fédérale fait obligation aux exportateurs
de solliciter de l'administration une autorisation préalable
et donne quinze jours à un service spécial, composé
d'agents des douanes et de la DEA, pour vérifier la destination
finale des substances. Ces nouvelles dispositions auront pour effet,
dès les premiers mois d'application, de réduire de
moitié les exportations américaines. Toujours sous
l'impulsion américaine, un nouveau pas est franchi par la
Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants
et de substances psychotropes de 1988.
Elle contient en annexe une liste de 10 précurseurs (portée
à 22 en 1992). Ses signataires sont invités à
prendre des mesures pour empêcher le détournement de
ces matières et à fournir à l'Organe international
de contrôle des stupéfiants (OICS) un rapport annuel
sur le trafic illicite, les saisies et les méthodes de détournement.
Dans le prolongement de la Convention, le Groupe des Sept pays industrialisés
crée en 1991, un Groupe d'action chimique (Chemical Action
Task Force), présidé par les États-Unis et
chargé de définir une politique de coopération.
Et l'Union Européenne adopte une directive sur le contrôle
des précurseurs par ses membres.
L'Allemagne, plaque tournante du trafic
La première conséquence de ce forcing américain
a été de doper les exportations européennes,
particulièrement celle de l'Allemagne, véritable plaque
tournante du trafic des précurseurs.
Au début des années 80, la firme Bayer fournit déjà
80% de l'anhydride acétique utilisé dans les laboratoires
d'héroïne d'Asie du Sud-est. En 1989, un an après
la nouvelle législation aux États-Unis, les livraisons
allemandes à la Colombie augmentent de 433%.
En 1990, la DEA se fait un plaisir de dénoncer le rôle
joué par Merck Columbia, filiale du cartel chimique qui,
au XIXème siècle , avait le premier commercialisé
la cocaïne. L'industrie allemande fournit aussi les laboratoires
turcs ou les yakuzas japonais. En raison de la facilité avec
laquelle y sont accordées les licences d'exportation, l'Allemagne
se fait transitaire des produits des autres pays européens.
A la fin des années 80, pourtant, la puissante fédération
de l'industrie chimique allemande prendra l'initiative de la mise
en place d'un contrôle interne sur les activités de
ses membres. Ce revirement doit beaucoup à la mise en cause
répétée d'industriels d'outre-Rhin dans une
série d'affaires désastreuses pour l'image de marque
de la profession. Les services secrets américains ont, en
effet, multiplié les révélations, photos à
l'appui, sur la livraison de produits chimiques aux industries d'armement
libyenne ou irakienne. On apprend, par exemple, que la société
Imhausen Chemie, accusée de fournir les libyens, fabriquait
aussi des comprimés d'ecstasy...
L'Allemagne finit par promulguer, en octobre 1994, une "Loi
de surveillance de la production et de l'exportation des précurseurs
chimiques" qui rend les industriels et leurs négociants
responsables de la destination de leurs produits. Tous les pays
occidentaux n'ont pas suivi le mouvement : le rapport de l'Organe
international de contrôle des stupéfiants pour 1994
montrait du doigt la Suisse, accusée d'avoir servi d'intermédiaire
pour l'envoi de 50 t d'éphédrine (précurseur
des méthamphétamines) tchèque au Mexique.
Le potentiel des industries du Sud
De fait, la création de contrôles n'a, jusqu'ici,
pas sensiblement affecté l'offre mondiale des drogues. A
cela plusieurs raisons : les pays industrialisés n'ont pas
le monopole de la chimie. Les trafiquants ont pu se retourner vers
les pays producteurs les moins avancés (PMA). C'est le cas
du Brésil, qui fournit éther et acétone, ou
de l'Inde, pour l'anhydride acétique. D'autre part, lorsque
le contrôle des échanges commerciaux entre deux pays
se fait trop pressant, il est toujours possible d'ouvrir de nouvelles
voies d'approvisionnement ou d'installer des laboratoires de transformation
près de la source. C'est ainsi que la répression croissante
du trafic de drogues synthétiques aux États-Unis entraîne
la multiplication des laboratoires au Mexique, que les laboratoires
de cocaïne fleurissent au Brésil, ou que les manufactures
d'héroïne birmanes migrent de la frontière thaïlandaise
à celle de Malaisie, de Chine, ou de l'Inde. Les organisations
criminelles impliquées dans la production de drogues s'adaptent
constamment aux nouvelles données. Dans le Triangle d'Or,
c'est la puissante triade Sun Yee On de Hongkong qui s'est spécialisée
dans la fourniture des matières essentielles. Les cartels
colombiens, eux, ont de longue date placé des intérêts
dans la fabrication ou la distribution des produits pharmaceutiques
licites. Ils ont également investi massivement en ex-URSS
lors de la privatisation de l'appareil industriel, tout comme la
mafia italienne, s'assurant d'ores et déjà le contrôle
d'une partie de l'énorme potentiel chimique de l'Est.
Reste un dernier écueil : la plupart des matières
nécessaires à l'élaboration des drogues ont
une multitude d'utilisations licites. Ce qui multiplie les possibilités
de détournement et limite a priori les possibilités
d'un contrôle exhaustif. Ainsi, en Colombie, dans la région
de Puerto Alvira, les paysans qui fabriquent le chlorydrate de cocaïne
se procurent des produits chimiques auprès d'employés
d'une usine de ... Coca-Cola.
De surcroît, la plupart des précurseurs sont, eux-mêmes,
des composés qui peuvent être obtenus à partir
de produits de base non soumis au contrôle. En 1986 et 1987,
la DEA a démantelé en Thaïlande deux laboratoires
clandestins qui avaient fabriqué plus d'une tonne d'anhydride
acétique.
Précurseurs & Produits chimiques essentiels visés
par la Convention de 1988
Acide
N-acétylanthranilique
|
Pipéronal
Safrole
|
Ephédrine
|
Acide anthranilique
|
Ergotamine
|
Acide
phénylacétique
|
Méthylénedioxy-3,4
propanone-2
|
Abhydride
actique
|
Acide
lysergique
|
Permanganate
de potassium
|
Ergométrine
|
Toluène
|
Isosafrole
|
Pseudoéphédrine
|
Phényl-1
propanone-2
|
Acétone
|
Acide
sulfurique
|
Acide
chlorhydrique
|
Pipéridine
|
Méthyléthylcétone
|
Source : Commission des stupéfiants des
Nations Unies |
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