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État des lieux |
Bien que le virus du sida soit en première ligne pour les
risques encourus par les usagers de drogue par voie intraveineuse,
le mode de transmission parentéral des virus des hépatites
fait de cette population, une cible privilégiée de
ces infections.
En France, 80% des sujets ont, au moins, un marqueur VHB positif
alors que la séroprévalence de la population générale
est de 4,5%. Seuls 10% d'entre eux sont porteurs de l'antigène
HBs, mais la co-infection fréquente avec le VIH augmente
le risque de passage à la chronicité et l'évolution
vers la cirrhose. Le partage des seringues est à l'origine
de nombreuses contaminations par le VHD. Le virus de l'hépatite
D est responsable d'hépatites fulminantes et de phases d'aggravation
dans les hépatites chroniques. Certaines équipes estiment
à 70% la prévalence du VHD chez les sujets co-infectés
par le VIH et le VHB, quand la contamination est liée à
la toxicomanie par voie intraveineuse (1).
La prévalence des anticorps anti-VHC est de l'ordre de 70%
dans la population toxicomane (2) et proche de 80% lorsqu'il existe
une co-infection par le VIH (3). Parmi les donneurs de sang ayant
des anticorps anti-VHC en France, l'interrogatoire retrouve dans
20 à 30% des cas une période d'utilisation de drogues
intraveineuses (4). Dans les deux tiers des cas, les toxicomanes
porteurs du VHC évolueront vers une forme chronique. Le rôle
des produits injectés dans l'évolution de ces formes
d'hépatites est discuté. En effet, s'il est encore
hypothétique pour l'héroïne, la toxicité
hépatique directe de la cocaïne est certaine (5). En
revanche, l'alcool semble n'avoir qu'un rôle de figurant,
même dans les cas de sevrage où il tient souvent lieu
d'anxiolytique ou de produit de substitution.
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Stratégies de réduction des risques |
Les campagnes de réduction destinées aux usagers
de drogue par voie intraveineuse doivent s'orienter de plus en plus
globalement vers les risques infectieux sans se limiter au seul
problème du VIH. Dans cette politique de limitation des risques,
il convient de mettre l'accent sur les pathologies virales pour
lesquelles il existe un traitement efficace et surtout pour l'hépatite
B, un vaccin. Il est nécessaire de pratiquer une vaccination
systématique des usagers de drogue par voie intraveineuse
contre l'hépatite B, en tenant compte des restrictions formulées
pour les personnes co-infectées par le VIH.
Pendant de nombreuses années, l'approche des intervenants
en toxicomanie s'est orientée vers le sevrage. Actuellement,
les ravages des épidémies de sida et d'hépatites
virales incitent les autorités sanitaires à modifier
leurs objectifs et à considérer que la priorité
en matière de santé publique est la prévention
de la contamination par ces différents virus. Si l'on ne
sait toujours pas résoudre le problème de la toxicomanie,
il faut apprendre à en réduire les conséquences.
La hiérarchisation des risques fait apparaître des
degrés de gravité différents :
le sida est une maladie irréversible et mortelle, sa prévention
est donc prioritaire par rapport au comportement toxicomaniaque
qui relève d'un travail thérapeutique et social pouvant
s'inscrire dans une perspective à moyen ou long terme (6).
Il faut également considérer deux degrés dans
la lutte contre la toxicomanie :
- un niveau individuel, où il est nécessaire
de prendre en compte une resocialisation,
- un accès aux structures de soins pour aborder
une éventuelle désintoxication,
- un niveau plus général qui amène
une réflexion globale de notre société sur
l'usage des drogues (7).
Mais le problème de fond et le débat de société
ne doivent pas retarder la prise de décisions et il est important
de ne pas assimiler toxicomanie et séropositivité
pour permettre le développement d'une véritable politique
de prévention des risques.
Depuis 1987, un certain nombre d'actions ont été
menées par les pouvoirs publics et les associations, comme
la vente libre des seringues, les programmes d'échange de
seringues, la diffusion d'information et de préservatifs.
L'évaluation de ces démarches montre nettement que
la majorité des toxicomanes sont sensibles à la prévention
et adoptent des attitudes prophylactiques (8), même si une
enquête, menée en 1993 à Paris, Marseille et
Metz, révèle que 95% des toxicomanes achètent
leurs seringues neuves mais qu'un tiers des sujets continuent à
avoir des pratiques à risques, en particulier le partage
des seringues. Il faut réaliser une véritable politique
d'accès aux seringues qui implique les pharmaciens dans la
vente de seringues ou de kits destinés aux toxicomanes en
leur donnant un rôle de promoteurs de santé publique.
Les élus locaux et régionaux ont un rôle primordial
dans les décisions concernant la mise en place de bus d'échange,
de distributeurs de seringues. Les forces de police doivent également
être engagées dans le programme de réduction
des risques.
Les produits de substitution comme la méthadone représentent
actuellement une alternative à l'injection intraveineuse
mais ne sauraient être une solution au problème de
la toxicomanie.
La méthadone, anagramme imparfaite du mot méthode,
n'est qu'un moyen de prévention du VIH et des hépatites
dans la population des usagers de drogue (9). Les programmes de
substitution s'ils ne veulent pas être voués à
l'échec doivent être accompagnés d'un suivi
médical et psychologique et permettre la resocialisation
des individus. Les principaux détracteurs de la méthadone
font état de la dépendance au produit qui ne règle
pas le problème de la toxicomanie et de l'absence de l'intention
de soin.
Les messages de prévention ne sont pas mutuellement exclusifs
et toutes les mesures de réduction des risques chez les usagers
de drogue passent aussi par le préservatif.
Il n'y a pas de recette miracle pour trouver le mode d'information
idéal; cependant, il apparaît que parler la même
langue entraîne une meilleur compréhension des messages
que la traduction simultanée, c'est pour cela que l'élaboration
des messages de prévention pour les usagers de drogue eux-mêmes
est amplement justifiée (10).
La mise en place de relais et de groupes d'entraide par des toxicomanes
ou ex-toxicomanes semble apporter un atout majeur dans la prévention.
La participation des usagers de drogue, " groupes d'autosupport
", doit se faire en collaboration avec les structures institutionnelles
et les pharmaciens d'officine.
Dans le domaine des soins comme dans celui de la prévention,
la nécessité d'un travail en réseau qui associe
généralistes, sidénologues, hépatologues
et équipes psychosociales ainsi que des intervenants en toxicomanie,
apparaît de plus en plus nettement, pour une prise en charge
globale des patients toxicomanes.
Après des statistiques catastrophiques, avec des années
de retard sur les autres pays, la France semble s'engager actuellement,
avec les dix mesures gouvernementales prises le 21 juillet 1994,
dans une vraie politique de réduction des risques chez les
usagers de drogue, dont les résultats ne permettront certes
pas de régler le problème de la toxicomanie mais certainement
d'en limiter les conséquences.
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Aspects médico-légaux |
On estime qu'en France 100 000 à 400 000 personnes infectées
par le VHC l'ont été à la suite d'une transfusion
sanguine. La mise en place du dépistage systématique
n'a eu lieu qu'en mars 1990. Mais contrairement aux mesures prises
après le drame de la contamination des transfusés
et des hémophiles par le virus du sida, aucun dispositif
global d'indemnisation n'a été mis en place.
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Quelques dizaines de malades se sont vus attribuer des sommes allant
de 50 000 à 1 000 000 de francs par les tribunaux civils |
Pour la première fois, en juillet 1994, une Cour d'appel,
celle de Montpellier, a confirmé la condamnation d'un centre
de transfusion sanguine relative à une contamination par
le VHC. Des plaintes pénales ont été déposées
à l'encontre de centres de transfusion sanguine pour "
tromperie sur la qualité substantielle des produits fournis
". Les tribunaux statuent dans un brouillard juridique
total (11).
Depuis 1977, les rapports et les propositions de loi sur l'aléa
thérapeutique se sont multipliés, mais aucun n'a abouti
à ce jour (12). Dans les établissements publics de
soins, les tribunaux administratifs reconnaissent, depuis l'Arrêt
Bianchi, la responsabilité sans faute de l'établissement
public. Mais ceci n'est pas applicable aux établissements
privés. Il n'existe aucune réponse juridique pour
les victimes d'accidents médicaux imprévisibles non
liés à une faute. Lorsque le tribunal saisi conclut
à l'absence de faute, il signe le refus d'indemnisation.
L'attentisme du législateur en la matière est nuisible.
L'addition n'en sera que plus conséquente et les financeurs
potentiels sont repérables depuis longtemps : les assurances,
la Sécurité sociale, l'État, c'est-à-dire
indirectement, l'impôt. C'est plus probablement une combinaison
des trois sources de financement qui sera retenue.
Au niveau de la responsabilité civile (13), le montant global
de l'indemnisation d'un préjudice se traduit en termes de
fréquence et de coût moyen. Dans le cas de l'hépatite
C, sa fréquence posttransfusionnelle mise en évidence
par le rapport Micoud (4) est le principal obstacle au vote d'une
loi d'indemnisation. De plus, cette infection évoluant sur
plusieurs dizaines d'années ne permet pas de mettre en évidence,
au prime d'abord, les préjudices liés à la
contamination.
Le montant d'une indemnisation sera difficile à fixer compte-tenu
de la diversité d'évolution de la maladie.
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La ponction-biopsie du foie deviendra-t-elle obligatoire pour prétendre
à une indemnisation ? |
En l'absence d'une prise de position du législateur, les
assurances vont vers une explosion du système de prise en
charge du risque de responsabilité civile. Différer
cette décision engendre des réactions passionnelles
du public à l'égard de victimes irritées par
une attente inexpliquée et détermine un refus de plus
en plus fréquent des assurances de couvrir des risques non
mesurables.
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Bibliographie |
(1) HOUSSET C., POL S., CARNOT F. et coll. - Interactions
between human immunodeficiency virus 1, hepatitis delta virus and
hepatitis B virus infection in 260 chronic carriers of hepatitis
B virus. Hepatology, 1992, 15, 578-583.
(2) VAN DER HOEK J., VAN HAASTRECHT H.J., GOUDSMIT J. et
coll. - Prevalence, incidence, and risk factors of hepatitis C infection
among drug users in Amsterdam, J. Infect. Dis., 1990, 162, 823-826.
(3) QUARANTA J.F., DELANEY S.R., ALLEMAN S. et coll. - Prevalence
of antibody to hepatitis C virus in HIV-1 infected patients (Nice
SEROCO Cohort), J. Med. Virol., 1994, 42, 29-32.
(4) Rapport sur l'état de l'hépatite C en France.
Coordinateur : Max Micoud, Paris, ministère des Affaires
sociales, de la Santé et de la Ville, 1992.
(5) PESCE A., CASSUTO J.P., QUARANTA J.F. - Pathologie somatique
du toxicomane. Coll. Abrégés de Médecine, Masson,
Paris, 1989, 241 p.
(6) COPPEL A. - Stratégies collectives et prévention
de l'infection par le VIH chez les toxicomanes. Sida, toxicomanie
: une lecture documentaire. CRIPS, 1993, 95-105.
(7) Rapport de la Commission de réflexion sur la drogue
et la toxicomanie. Coordinateur : Henrion R., ministère des
Affaires sociales, de la Santé et de la Ville.
(8) FACY F., LE HUEDE E. - Suivi épidémiologique
des programmes expérimentaux de prévention du sida
chez les toxicomanes avec échange de seringues. Rapport Division
- Sida, DGS, 1991.
(9) COPPEL A. - L'efficacité des programmes méthadone
mesurée par les évaluations des expériences
étrangères. Le Journal du Sida, 1993, n° 46, 26-30.
(10) TOUFIK A. - Contribution of self-help by drug users
in the prevention of HIV infection in the 12 countries of European
Community. IXth International Conference on AIDS, Berlin, 1993,
Abstract Book 1, WS-D 12-3.
(11) GROMB S., COUZIGOU P. - Problèmes médico-légaux
posés par les hépatites C, Gazette du Palais, 27 février-1er
mars 1994.
(12) HURIET C. - Aléa thérapeutique : un climat
malsain, Impact Médecin, 1994, 253, 67.
(13) LAMBERT-FAIBVRE Y. - L'hépatite C posttransfusionnelle
et la responsabilité civile. Recueil Dalloz/Sirey, 1993,
40e cahier, chronique LXXVI.
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En collaboration avec J.F. QUARANTA, B. REBOULOT,
J.P. CASSUTO |
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