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qui sont les toxicomanes
Qui sont les toxicomanes ?

Pour répondre à cette interrogation, nous avons fait référence aux très sérieuses études épidémiologiques et cliniques effectuées par de nombreux spécialistes et chercheurs pluridisciplinaires. Depuis 1970, il existe dans le champ spécialisé de la toxicomanie des théories différentes concernant la personnalité du toxicomane. En effet, certaines hypothèses défendent l'existence d'une structure psychologique particulière chez les sujets toxicomanes (en particulier chez les héroïnomanes), alors que d'autres définissent la toxicomanie comme le symptôme de souffrance psychique ressentie par des sujets extrêmement variés, dont la structure psychologique n'a rien de spécifique puisqu'elle entre dans les catégories habituelles de la maladie mentale.

La personnalité du toxicomane existe-elle ? N'est-elle pas, au contraire, la résultante d'une construction imaginaire d'un fantasme véhiculé par certains spécialistes ? Le toxicomane nous est alors présenté comme une entité : le toxicomane type ! Or l'existence potentielle du toxicomane type, dans la fantasmatique des soignants, a surtout permis d'établir des théories rationnelles insistant sur le fait qu'il y aurait de " vrais " toxicomanes en opposition " aux faux toxicomanes ". S'arrogeant ainsi le pouvoir d'établir cette distinction entre " les vrais " et " les faux ", les spécialistes faisaient alors une différence radicale entre le toxicomane et les autres, c'est-à-dire entre le toxicomane et nous-mêmes.

Heureusement, les discours tenus dans les années 1970-1975 ont beaucoup évolué, en particulier dans les années 1981 lorsque la distinction entre usage et toxicomane a clairement été mise en évidence. La plupart des intervenants en toxicomanie confirment aujourd'hui la grande variété des personnalités qui constituent ce sous-groupe appelé toxicomanes. La toxicomanie résulte d'un phénomène interactif complexe, où de nombreux paramètres entrent en ligne de compte. La drogue n'est en fait qu'un des éléments qui contribuent à la construction de ces conduites dites déviantes, ou encore de ces nouvelles " sociopathies ". Nous retiendrons la définition donnée par l'ensemble des spécialistes :

" La toxicomanie résulte de la rencontre d'un individu, d'un produit toxique, et d'un moment de société. "

Nous ne devons pas oublier que le fondement de la personnalité repose, pour chacun d'entre nous, sur un passé, une histoire affective, un ancrage social, économique, culturel.

Les sources d'informations

Les sources d'information dont nous disposons proviennent du ministère de l'Intérieur, des statistiques des interpellations policières et judiciaires de l'Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants (l'OCRTIS), de la direction générale des Douanes, des rapports d'activité des différentes institutions spécialisées, des études épidémiologiques et des recherches effectuées par le CNRS ou l'INSERM et des rapports effectués par la Mission interministérielle de lutte contre la toxicomanie (MILDT).

Les chiffres annoncés ne peuvent être qu'approximatifs bien sûr, car il est impossible de repérer tous les usagers de drogue (revendeurs ou toxicomanes) qui vivent souvent dans la clandestinité. Seule la partie émergente du phénomène est quantifiable. Les toxicomanes ne sont pas là où les institutions officielles de contrôle les attendent.

De ce fait, certaines personnes dramatisent les faits réels. La toxicomanie frappe les imaginations et, là encore, il convient de relativiser les discours véhiculés et de vérifier la source des informations transmises. Les médias contribuent d'ailleurs à maintenir certains stéréotypes concernant non seulement les drogués mais la jeunesse dans son ensemble. Toutefois, on ne peut nier le besoin d'information dans ce domaine.

Il ressort de diverses investigations scientifiques et enquêtes journalistiques qu'il existe non pas une mais des conduites toxicomaniaques et que les caractéristiques de ces conduites sont variables. En effet la " population " des usagers de drogue évolue très rapidement, parfois d'une année sur l'autre. La drogue est consommée différemment selon les classes d'âge et les milieux sociaux; de ce fait, les toxicomanes ne constituent pas un groupe homogène. Si la toxicomanie demeure un problème social prioritaire qui préoccupe les gouvernements successifs, c'est parce qu'elle constitue une " menace " réelle pour les adolescents. Un article de l'hebdomadaire Le Point (7-13 juillet 1986) faisait état de " la menace qui pèse sur tous les enfants ", et se référait au rapport de l'OCRTIS : " Tout jeune, quelles que soient sa personnalité, son éducation, ses activités, l'ambiance familiale dans laquelle il vit, peut faire l'expérience de la drogue. " Dans le même article, le Comité national d'information sur la drogue affirme : " 5% de chaque tranche d'âge entre 12 et 16 ans (environ 35 000 jeunes chaque année) sont condamnés en raison de leur toxicodépendance à abandonner leurs études sans qualification, à devenir para-sociaux voués à des activités misérables pour gagner l'argent nécessaire à la satisfaction de leur besoin immédiat. " Enfin un rapport effectué par des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP) confirme : "Sept adolescents sur dix, âgés de 13 à 20 ans, touchent au moins une fois à la drogue : colle, solvants, volatils, cannabis, cocaïne, héroïne."

Pour procéder à l'étude de la personnalité des toxicomanes ou des conduites toxicomaniaques, les chercheurs font des enquêtes épidémiologiques auprès d'un nombre donné de toxicomanes (nombre souvent limité à ceux qui acceptent de répondre au questionnaire type). Le contexte thérapeutique permet une écoute plus affinée (étude clinique, analyse après-coup des situations vécues par le client). Selon Jean Bergeret et Guy Journet " l'étude de la personnalité profonde du toxicomane doit nous permettre de répondre à trois niveaux de questions :

  1. Les toxicomanes se situent-ils dans un monde à part du nôtre ? Sont-ils différents de nous ? Sont-ils coupés de nous ?
  2. Existe-t-il un mode de structure mentale spécifique et unique qu'il nous serait possible de qualifier de toxicomaniaque ?
  3. Au-delà de la drogue employée, qu'existe-il de commun, de profond, de latent, derrière le phénomène toxicomaniaque ?

Nous avons retenu quatre variétés de paramètres qui nous renseignent sur les causes de la toxicomanie et qui précisent les caractéristiques (attribuées par les spécialistes de la psychopathologie de l'adolescent, les sociologues et les psychiatres) des populations toxicomanes :

  • l'adolescence,
  • la famille, la relation parent-enfant,
  • le contexte historique, culturel,
  • le contexte socio-économique.

Une distinction est généralement effectuée entre les approches portant sur l'organisation de la personnalité et la structure psychologique des toxicomanes dépendants (de type clinique) et les approches (de type sociologique) portant sur la toxicomanie comme " fait social ". Il est certain qu'à travers les monographies, interviews, enquêtes effectuées, on aperçoit "une constellation de facteurs mêlés en un agrégat compact, réduction qui anéantit la hiérarchie" causale "réelle de chacun des facteurs considérés".

Notre approche tient compte de deux formes d'investigation, toutes deux issues des sciences humaines :

  • la psychologie clinique
  • la psychosociologie.

Les toxicomanes ne sont nullement des êtres à part, des mutants, différents de nous. Ils ont été des enfants, puis des adolescents, avant de rencontrer la drogue. Tous les adolescents, qui prennent un jour de la drogue "pour faire comme les copains", ou "pour voir ce que ça fait", ne deviennent pas obligatoirement des toxicomanes (heureusement !). La cause profonde qui soutend le déclenchement d'une conduite toxicomaniaque trouve ses racines dans l'histoire individuelle de chaque sujet, car toute névrose est le symptôme d'un conflit intérieur mal résolu. Cependant, la trajectoire sociale des sujets intoxiqués démontre à quel point la toxicomanie est un facteur de marginalisation, d'inadaptation, de misère, quelles que soient les conditions de vie initiales de ces adolescents (dans leur famille). La drogue, s'ajoutant à la crise d'adolescence, a pour conséquence de favoriser une véritable déstructuration sociale.

Une population adolescente

La notion d'adolescent est une construction récente. La société a longtemps vécu sans se représenter l'enfant ou le jeune. Nous savons que l'enfant, à peine physiquement débrouillé, était autrefois mêlé à la vie des adultes et partageait leurs activités. A travers l'étude de Philippe Ariès, nous constatons ; "La famille ancienne avait pour mission très ressentie la conservation des biens, la pratique commune d'un métier, l'entraide quotidienne, la protection de l'honneur et des vies. Elle n'avait pas de fonction affective, le sentiment entre les époux et entre les parents et les enfants n'était pas nécessaire à l'existence ni à l'équilibre de la famille : tant mieux s'il venait de surcroît."

La crise d'adolescence : une crise d'insertion dans le monde des adultes

Pourquoi les adolescents constituent-ils des sous-groupes, des bandes ? S'agit-il d'une micro-société produisant ses propres valeurs, ses systèmes de références, ses langages ? Doit-on parler d'une sous-culture adolescente qui valoriserait les comportements antisociaux et la marginalisation pour se différencier des adultes ? Quelle serait alors la fonction de la drogue pour tous ces jeunes ?

Pour trouver des éléments de réponse à ces interrogations, il faut, dans un premier temps, redéfinir la notion d'adolescence. La différenciation entre l'enfant et l'adolescent se fait tout d'abord en tenant compte des bases physiologiques qui permettent de repérer la puberté. Ces signes de développement pubertaire (imprégnations oestrogéniques, croissance, apparition des seins et des menstruations chez la fille; croissance, pilosité, acné, première éjaculation chez le garçon) et leurs corollaires psychologiques permettent de distinguer deux phases institutives de l'adolescence : une première phase de maturation biologique, une seconde phase de maturation psychologique.

Piaget a mis en évidence la transformation de la pensée chez l'enfant, qui passe par le stade de la pensée concrète (7-12 ans) et par celui de la pensée formelle.

Les progrès de la logique chez l'adolescent permettent son insertion dans la société adulte. L'accès aux valeurs morales abstraites place l'adolescent devant ses responsabilités. " La découverte de la psychanalyse par S. Freud éclaire ce processus de maturation qui succède à la phase de latence. "Après S. Freud, chacun reconnaîtra l'importance de la puberté, le rôle joué par l'accession à la sexualité, et par là même le regroupement des pulsions partielles sous le primat de la pulsion génitale."

Selon Anna Freud et Erikson, la puberté serait la dernière chance de résoudre le conflit oedipien. Durant cette période de sa vie, l'adolescent affronte ses parents et se trouve dans la quasi-obligation de les rejeter pour pouvoir grandir et accéder à une certaine autonomie. Le docteur Branconnier et D. Marcelli précisent dans leur ouvrage : "La réaction des conflits oedipiens fait rejaillir le risque d'un inceste qui, cette fois, pourrait être réalisable." C'est l'âge où le futur adulte va devoir assumer l'angoisse de castration, ce qui signifie : assumer la différence, le manque, l'incomplétude. La résolution du complexe d'Oedipe passe par l'abandon de l'imago parental, en tant qu'objet libidinal; le sujet " introjecte " les interdits parentaux.

En faisant référence aux travaux de Philippe Ariès, il nous a paru intéressant d'observer que les échanges affectifs et les communications sociales étaient assurés en dehors de la famille par un milieu très dense et très chaud, composé de voisins, d'amis, d'enfants et de vieillards, de maîtres et de serviteurs, de femmes et d'hommes, où l'inclination jouait sans trop de contrainte. Les familles conjugales y étaient diluées. Les historiens français appellent "sociabilité" cette propension des communautés traditionnelles aux rencontres, aux fréquentations, aux fêtes. Lorsque l'enfant était en âge de travailler, il rejoignait le monde des adultes en devenant un homme, sans passer par les étapes de la maturation que représente l'adolescence. Rappelons que l'entrée dans le monde du travail se faisait à l'âge de 8 ans et que les notions de pré-adolescence et d'adolescence (qui sont des constructions sociologiques récentes) n'existaient pas.

En France, entre 1830 et 1855, un ouvrier sur huit était un enfant. Il faudra attendre 1936 pour que l'âge d'entrée dans la vie active et professionnelle soit fixé à 14 ans. Aujourd'hui, cet âge a été repoussé à 16 ans. L'entrée dans le monde adulte est de plus en plus tardive. L'accès à la vie professionnelle est médiatisée par de longues périodes de formation, retardant parfois la stabilisation des individus.

La psychologie de l'enfant va se développer dès le début du XXème siècle, transformant du même coup l'élevage des tout-petits, l'éducation, la pédagogie. La famille va redonner une place privilégiée à l'enfant, lui accorder de l'affection, veiller à son épanouissement et à ses loisirs, mais elle va également retarder son entrée dans la vie. Parallèlement à cette évolution, la jeunesse va s'affirmer en s'opposant aux valeurs des adultes. L'adolescence est une période intermédiaire qui s'étale sur plusieurs années. Cependant, dans la vie quotidienne, le passage de l'enfant à l'adulte se fait progressivement dans un continuum. La notion d'adolescence opère dans ce continuum une série de coupures qui relèvent d'un arbitraire social. En désignant socialement les différentes étapes de construction de l'adulte, on introduit des segmentations artificielles et des ruptures qui participent à leur tour à la construction des problèmes sociaux, celui des jeunes en particulier. En ce sens la "guerre des générations" est liée à l'évolution de la société industrielle. Nous retiendrons de cette approche psychanalytique de l'adolescence, qu'il existe une crise normale de l'adolescence, dont la résolution est toujours partielle.

Les psychanalystes, Anna Freud, Blos, Kestemberg, Erikson, Cordeiro, ont décrit la phase normale de la crise d'adolescence, qui débouche sur "le choix d'objet hétérosexuel", en opposition à la crise d'adolescence pathologique. La réorganisation totale de la personnalité de l'adolescent implique un travail de deuil douloureux, "travail" qui ne peut se faire sans engendrer une perturbation des relations que le sujet entretient avec le monde extérieur.

Une dépression ou morosité peut accompagner cette profonde mutation intérieure. Si, par ailleurs, surviennent à ce moment certains traumatismes liés à la vie familiale ou sociale, la crise d'adolescence peut engendrer des problèmes psychologiques. Pour des raisons intra-psychiques, la crise d'adolescence peut favoriser l'émergence de divers symptômes réactionnels : troubles du comportement ou encore troubles psychosomatiques. Engagé dans une lutte qui oppose une réalité extérieure à la réalité subjective du monde intérieur, l'adolescent va régresser.

Dans certains cas, ces symptômes phénoménologiques seront l'expression d'une névrose (névrose d'échec, névrose d'inhibition) ou, ce qui est plus grave, d'une dissociation psychotique. Par ailleurs, les adolescents de notre société moderne ont d'autant plus de mal à trouver "leur identité" que plusieurs modèles d'identifications contradictoires leurs sont offerts (transformation des rôles masculins et féminins, libération de la femme, transformation de l'image de la famille ...). On pourrait dire qu'aux problèmes personnels des adolescents s'ajoutent d'autres difficultés générées par les changements culturels de notre société. Retenons que l'état "morose" est un syndrome qui se caractérise par un refus d'investir le monde. L'adolescent, confronté aux frustrations du monde réel, ne parvient pas à supporter la vie quotidienne.

La symptomatologie

Voici les différentes symptomatologies qui caractérisent la crise d'identité chez l'adolescent psychopathe.

Le passage à l'acte

Le comportement antisocial de l'adolescent est caractérisé par le "passage à l'acte". L'impulsion, l'expression violente d'un refus ou d'une révolte, une manifestation brutale et parfois imprévisible de l'agressivité rendent les psychopathes dangereux pour la société. Ce type de comportement est "agi" par une violence intérieure qui, selon les cas, est tournée vers les autres (coups, violences sexuelles, délits, vols, détériorations de matériel) ou au contraire portée contre soi-même (automutilation, suicide).

La faiblesse du " moi "

Cette notion éclaire les conduites psychopathologiques de l'adolescent. Ces sujets ont un seuil de tolérance de la frustration et de l'angoisse plus bas que la moyenne, qui entrave leurs possibilités d'adaptations sociales, une difficulté liée à une capacité de sublimation insuffisante, une impossibilité à dominer leurs pulsions.

Les carences affectives

Les carences précoces (mauvaise relation à la mère) empêche le processus de maturation du nourrisson, en particulier ses possibilités d'investissement narcissiques. Des ruptures, des manques menacent l'évolution de l'adolescent ultérieurement, car son " image du moi " n'est pas investie par lui d'une manière solide, permanente, et stable.

La dépression, le deuil

Les adolescents passent fréquemment par une période où leur humeur change et devient dépressive. Cette modification de l'humeur s'accompagne très souvent d'un sentiment de dévalorisation, une dépréciation. Une dépression peut s'installer sur ces bases, à savoir une déstructuration narcissique (c'est un signal d'alarme). Pour tout adolescent, cette phase comporte des risques, puisque le "moi affaibli" s'engage dans "un travail de deuil douloureux" (abandon des imagos parentaux) qui est d'ordre dynamique.

L'auto-punition

Quelles que soient les stratégies et les trajectoires des toxicomanes, cette transgression vers un ailleurs se termine par un mal être, un mal de vivre redoutable. La drogue redouble à sa manière la difficulté d'exister dans la réalité sociale. Les toxicomanes qui ne parviennent pas à contrôler leur appétence pour une drogue, et ne peuvent l'utiliser sporadiquement, en dépendent. Parfois ils en meurent, et cela est suffisant pour que nous comprenions la gravité de leur problème.

La guerre des générations

Les études sociologiques contemporaines mettent en évidence les problèmes de la jeunesse et nous renseignent sur les facteurs qui contribuent à favoriser ce que l'on a appelé "la guerre des générations". Les premières études concernant la jeunesse datent de 1891. En 1905, le livre de Stanley Hall, Adolescence, a un retentissement mondial. M. Mead, G. Mendel, E. Morin s'intéressent aux comportements des adolescents et aux phénomènes de masse qui apparaissent dans toutes les sociétés industrialisées. C'est vers 1960 qu'est né le concept de "guerre de générations" ou de "crise d'adolescence", dans un contexte marqué par les bouleversements culturels et politiques qui secouèrent les États-Unis à cette époque. Un rapport de l'ONU fait état de manifestations étudiantes dans cinquante pays en 1968 où la jeunesse constitue une "classe à part", qui s'octroie le droit d'interroger les adultes sur le monde moderne, à travers des considérations philosophiques, éthiques et politiques. "Les mots clés du rapport de l'UNESCO de 1968 étaient : confrontation-contestation, marginalisation, contre-culture, contre-pouvoir, culture des jeunes. Les jeunes étaient alors perçus comme un groupe historique, distinct et identifiable ... Cette génération a été séparée des aînés par un énorme fossé."

En France, dès 1970, de nombreuses enquêtes sont menées sur les jeunes. Il ressort de ces investigations (déjà anciennes) que les jeunes se sentent solidaires les uns des autres, et que la contestation équivaut, pour la majorité d'entre eux, à un rite initiatique précédant l'entrée dans la vie active. Beaucoup sont angoissés par leur devenir et ressentent un malaise individuel, un sentiment de "ras le bol" qui débouche sur la contestation ou la transgression. La bande d'adolescents correspond à des besoins : trouver des modèles d'identification (rôle du leader); remplir une fonction protectrice et sociale; posséder sa vie propre, faite de regroupements, d'alliances, de ruptures, d'histoires d'amour et de haine. "On observe le déplacement sur le groupe de la problématique paranoïde potentielle de l'individu adolescent." Par ailleurs, les générations d'adolescents changent très rapidement. La crise conjoncturelle qui sévit dans notre monde moderne débouche sur des angoisses existentielles liées au chômage, à la révolution technologique, à la baisse du pouvoir d'achat, au risque d'être propulsé dans la nouvelle pauvreté. De ce fait, les préoccupations de la jeunesse actuelle sont différentes de celles de leurs aînés. Le rôle de la famille évolue également car, dans cette période de déstructuration sociale, les rapports parents-enfants participent en grande partie à la construction de l'adolescent : La famille aussi bien dans ses fonctions externes socioculturelles que dans ses fonctions internes propres au psychisme de chacun (image parentale et type de relation d'objet) structure et organise l'évolution de l'adolescent.

Gérard Mendel interprète "la crise des générations" comme l'impossibilité pour l'adolescent d'affronter le conflit oedipien dans la société actuelle. Il oppose : le père (c'est-à-dire le social, le progrès, la technologie) à la mère (c'est-à-dire la nature archaïque et forte, qui règne sur l'inconscient collectif par des forces irrationnelles). selon lui, l'adolescent ne peut rivaliser avec un père auquel il ne peut s'identifier, un père social, faible, châtré, écrase par le progrès scientifique, d'où son refus de l'héritage socioculturel qui lui est légué. " La crise d'adolescence se définit comme l'impossibilité pour l'adolescent d'affronter victorieusement le conflit oedipien. En effet, le père social, la culture se trouvent étouffés par la nouvelle nature technologique : la mère archaïque, forte, règne à nouveau sur l'inconscient rendant impossible l'identification au père social. Comment, en effet, s'identifier à un père social faible, châtré ? De même, l'adolescent ne peut qu'aller en refusant toujours davantage l'héritage socioculturel, l'acquis de la civilisation dans la mesure où cet héritage et cet acquis sont inconsciemment appréhendés comme n'ayant pas suffi à faire le poids devant la mère. "

De nombreux sociologues émettent d'ailleurs l'hypothèse d'un lien entre "la crise d'adolescence" et "la crise de société". A ce sujet, Jean Duvignaud écrit :

"Entre la fin de l'adolescence et l'établissement dans la société, s'étend un marais qui n'a pas de place déterminée. C'est le moment où les jeunes s'affrontent aux institutions établies par les générations précédentes."

Par ailleurs, la civilisation est, elle aussi, traversée par des crises, peut-être nécessaires à sa croissance et à son évolution. Nous pouvons comparer ces deux phénomènes sociologiques : la crise de la civilisation occidentale et la crise d'adolescence. Par extension, la guerre des générations, traduite par une rupture de la communication entre adolescents et adultes, pourrait être interprétée comme une réaction de défense inconsciente des jeunes contre le monde moderne qu'ils n'ont pas choisi et qu'ils subissent parfois. Lorsqu'on a 16 ou 18 ans, on a besoin de se forger un idéal et de croire en certaines valeurs.

Adolescence et toxicomanies

Certes, l'adolescence est une période de mutation dans la vie d'un individu qui va quitter l'enfance pour entrer dans le monde des adultes. Cette lente transformation, physiologique et psychologique, s'accompagne souvent de troubles caractérisés par l'opposition, le refus de l'autorité parentale ou le déni de la réalité. C'est pourquoi il serait dangereux de plaquer trop rapidement un diagnostic de "malade mental" sur des adolescents qui éprouvent le besoin de transgresser la loi sociale, ou adoptent un comportement qui paraît pervers et destructeur, car à cette époque de la vie rien n'est figé. La drogue est utilisée par certains jeunes pour régler temporairement des problèmes affectifs inconscients; elle devient alors un objet fétiche, auquel les "initiés" attribuent des pouvoirs "magiques". Le produit est censé combler leur manque affectif ou les protéger de la réalité trop frustrante.

La drogue favorise une confrontation de l'individu avec ses limites psychiques et organiques. Mais, corollairement, elle entraîne une fuite de la réalité sociale, un évitement des contraintes, des obligations, des responsabilités. L'individu qui se drogue régulièrement adopte un mode de vie qui porte en germe un retrait narcissique, un repli sur soi. La toxicomanie aboutit souvent à l'impasse d'une jouissance immédiate, absolue et tyrannique. Si, pour certains adolescents, la drogue est une "épreuve" qui a valeur d'initiation, nous devons essayer d'en comprendre la cause. Les phénomènes de contre-culture qui se sont développés aux États-Unis dans les années 1960, et dix années plus tard en Europe, sont à ce titre riches d'enseignements. Nous avons cherché à discerner les principales caractéristiques de ce mouvement, afin de mettre en évidence les corrélations existantes entre la montée du phénomène de drogue et la crise de la société occidentale qui est entrée dans la phase de la "post-modernité".

Si, dans les années 1970, la jeunesse du monde occidental recherche au moyen de l'usage de substances toxiques un "ailleurs", mais aussi de nouvelles valeurs existentielles, il n'en est plus de même en 1980. Le sens de la consommation de drogue a lui aussi changé. Nous avons tenté de résumer cette évolution des modes de consommation et des populations droguées.

Le mode postmoderne

La "société de consommation" débute avec le XXème siècle. Elle illustre la rapide transformation du système économique et social qui secoue les sociétés industrielles après la seconde guerre mondiale. Il est intéressant de noter que la consommation en masse des produits manufacturés va coïncider, dès les années 1960, avec la consommation en masse de produits toxiques et chimiques. Selon certains auteurs, la toxicomanie est un révélateur qui éclaire les tensions, les inquiétudes et les malaises qui oeuvrent en profondeur à la refonte sociale du monde postmoderne. Les années 1960 seraient en ce sens une tentative collective de remise en cause des valeurs puritaines qui caractérisaient le monde moderne.

Le monde dans lequel nous vivons s'appuie sur la foi en la science, le culte de la personnalité et la recherche du plaisir individuel, autrement dit l'égocentrisme narcissique et l'hédonisme, comme nous l'explique Fernando Gébérovich?. Ne voyons-nous pas se profiler à travers la description de l'homme postmoderne. ce curieux personnage appelée "le toxicomane" qui veut tout, et tout de suite !

Le mouvement de contre-culture aux États-Unis

Le phénomène hippie

Ce phénomène débuta à San Francisco aux alentours des années 1960 dans un contexte politique et philosophique marqué par les premiers mouvements contestataires qui avait vu naître les Beatniks dix ans auparavant. De célèbres écrivains et poètes chantent alors les louanges de l'extase que procure la drogue. Jack Kerouack, Allen Ginsberg, W. Burroughs, Timothy Leary deviennent les poètes de la Beat Génération ".

Le refus de la société de consommation

Avec le mouvement hippie, cette fois encore, la jeunesse américaine s'oppose aux valeurs des adultes (il s'agit principalement d'étudiants issus de classes sociales privilégiées). En 1967, le phénomène hippie s'étend à toute l'Amérique, alors que la guerre au Viêt-nam s'intensifie. En 1969, ces étudiants contestataires se politisent. Ils participeront à la lutte pour les droits civiques des Noirs, et contre la guerre au Viêt-nam. Ils organiseront d'importantes manifestations dans les campus, où ils dénoncent les valeurs de la société de consommation. Ils prônent la non-violence (sous l'influence de Ghandi et M. Luther King) et créent un slogan devenu célèbre "Peace and love ". Par ailleurs, Marcuse dénoncera le système établi et sa capacité à récupérer tous les désirs et les motivations de l'individu, pour les mettre au service du système de production.

La recherche de nouvelles valeurs

C'est également l'époque des rassemblements gigantesques autour des concerts rock dont le plus important fut celui de Wood Stock. Beaucoup vivent en communauté et consomment des "soft-drugs" ou "drogues douces", en particulier de la marihuana et des champignons hallucinogènes ou du LSD dont Timoty Leary s'est fait le promoteur. La drogue n'est pas une fin en soi, elle est utilisée pour mieux réfléchir, découvrir des perceptions nouvelles, favoriser l'élargissement du champ de conscience individuel. De nombreuses productions artistiques (musique, cinéma, théâtre, poésie) vont donner lieu à la création du mouvement psychédélique. La drogue sera cependant associée à l'horreur lorsqu'en 1969 Sharon Tate, (la femme de Roman Polanski) est exécutée, ainsi que plusieurs de ses amis, dans sa villa de Los Angeles, par une secte dirigée par un dément (la drogue aurait servi à permettre le crime rituel abominable).

La route des Indes

La route . Les précurseurs "faisaient la route", parce que la route est synonyme de cheminement et que le bonheur est une quête. Il faut abandonner toutes ses valeurs anciennes, tout quitter, et partir ... Ils ne croient plus au progrès scientifique, qui ne leur a pas apporté le bonheur qu'ils espéraient. Ils ont soif d'absolu.

Les Indes. Parce que l'ordre social que l'on quitte n'offre pas de finalité, l'homme nouveau ne peut naître qu'ailleurs, projeté dans un autre monde matériel et spirituel Il lui faut un mode favorable à l'éclosion de ses nouvelles valeurs et à la révélation de la sagesse. Ce sera Katmandou au Népal.

La fin des utopies

Francis Marion, du service social auprès du consulat général de France à Bombay, en 1976, nous dit : "Je parlerai volontiers de l'échec de la philosophie hippie, ou plutôt de la prise de conscience de leur échec par les hippies eux-mêmes. Ils sont en effet inexistants, ceux qui, parmi le flot migrant, parlent encore des freaks comme d'un peuple vivant. L'idée de la construction d'un hippiland est totalement abandonnée, et les penseurs du mouvement se sont tus depuis longtemps ..Le junkie, c'est celui qui se "pique" à n'importe quoi, risquant la mort à chaque intraveineuse; c'est en définitive un hippie qui a perdu l'espoir. La route des Indes correspond à un mouvement de migration des jeunes Occidentaux. Migrations en masse, qui est un phénomène récent. Le mouvement initial vient des communautés puissamment motivées, qui s'étaient constituées en Californie. Il en reste une image d'Épinal de jeunes à la chevelure fleurie des années 1960. Le mouvement a changé, il est l'héritier des précurseurs, mais il a subi les revers dont la drogue fait partie . Beaucoup de ces jeunes sont depuis longtemps retournés dans le système" .

Le mouvement de contre-culture en France

Les marginaux

Les événements de mai 1968 ont vu apparaître une nouvelle idéologie : le gauchisme, fondée sur une vision dichotomique du monde. Deux classes s'opposent : la bourgeoisie et le prolétariat. Les étudiants quittent l'Université pour rejoindre les ouvriers à l'usine. Mais l'identification étudiants-prolétariat va échouer. Un certain nombre de ces jeunes étudiants, issus de milieux aisés ou appartenant à la petite bourgeoisie, vont se retrouver hors du système de production et vont progressivement se marginaliser. Déçus, ils rejoignent les communautés et vivent en marge du système social (retour à la terre). c'est dans ce contexte politique que s'inscrit le phénomène d'intoxication en masse de jeunes appartenant à toutes les classes sociales. La marihuana, le LSD et les hallucinogènes sont consommés dans les milieux intellectuels fascinés par le mouvement hippie. Bien qu'il soit extrêmement difficile de dater avec précision l'apparition de ce phénomène social en France, on a coutume de dire qu'il date des années 1970-1971. C'est du moins à partir de cette époque que la presse fait état de plusieurs décès par overdose. Rapidement, on va considérer la toxicomanie comme un fléau national. La loi de 1970 est votée.

La banalisation de la drogue (1974-1975)

Il ressort des études épidémiologiques de ces dernières années que la toxicomanie est liée à un phénomène de dépression collective, qui a succédé à l'échec des étudiants et des intellectuels après 1968 (dépression, "craquage" des jeunes partis à la recherche d'un mythe, d'une utopie, et qui rencontrent le marché de la drogue). Les drogues qui tendaient à développer l'inspiration esthétique, artistique et l'auto-analyse, ont été remplacées par l'héroïne dans un contexte de violence, d'insécurité, de pauvreté.

Les choses ont bien changé depuis 1968. Aujourd'hui, le vécu de la drogue semble dominé par le besoin de "s'écrouler", être absent du monde. En effet, l'usage de la drogue est loin d'être un support de communication (réelle ou illusoire) entre les jeunes. La prise de produit renvoie l'individu à sa solitude en témoigne la progression des drogues majeures (héroïne), des médicaments (barbituriques), des solvants, qui s'ingèrent seuls sans rite, sans guide, et qui ont pour effet de favoriser le retrait du monde extérieur. Plus que jamais on peut parler de fuite du réel, sans qu'il y ait cependant véritablement refuge dans le symbolique ou le sacré fantasmatique. Actuellement, la toxicomanie est encore une forme de marginalisation ou de refus de la vie sociale, mais ce "refus" individuel ne s'appuie sur aucune idéologie. Cette attitude s'accompagne très souvent d'une violence faite à soi-même, d'un processus d'auto-destruction ou d'exclusion. Mais, là encore, gardons-nous bien de généraliser.

Les toxicomanes ne constituent pas un sous-groupe homogène .Il existe plusieurs cas de figures ; certains individus se droguent tout en continuant à travailler, d'autres vivent en couple, d'autres encore chez leurs parents. Le phénomène drogue s'est en quelque sorte banalisé et n'engendre plus les mêmes réactions de panique et de rejet de la part de l'entourage. Le sociologue Gérard Mauger nous explique, d'un point de vue sociologique, comment une "consommation de drogue contre-culturelle" a pu devenir "un fléau social" en quelques années. Il décrit le résultat des deux enquêtes qu'il a effectuées entre 1972 et 1975, après s'être promené partout en France durant trois ans, de communauté en communauté, de lieux de rendez-vous en lieux contre-culturels ... et, en 1979, parmi les jeunes ouvriers de la banlieue parisienne.

Dans la première enquête, il souligne que la drogue apparaît comme un "balisage" d'un phénomène de contre-culture, alors que dans la seconde enquête la drogue est devenue un " fléau social ".

On parle de "banalisation" et de "démocratisation" de la drogue à compter de 1974. G. Mauger confirme l'hypothèse selon laquelle il y aurait eu "banalisation ou démocratisation de la drogue à un moment précis .." , car il constate que le phénomène s'est surtout étendu aux banlieues des grandes villes, dans les couches populaires, dans les campagnes, et concerne, non plus les anciens gauchistes, les marginaux, les étudiants déçus ou les petits bourgeois, mais tous les milieux sociaux.

 
 
 
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