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Qui sont les toxicomanes ? |
Pour répondre à cette interrogation, nous avons fait
référence aux très sérieuses études
épidémiologiques et cliniques effectuées par
de nombreux spécialistes et chercheurs pluridisciplinaires.
Depuis 1970, il existe dans le champ spécialisé de
la toxicomanie des théories différentes concernant
la personnalité du toxicomane. En effet, certaines hypothèses
défendent l'existence d'une structure psychologique particulière
chez les sujets toxicomanes (en particulier chez les héroïnomanes),
alors que d'autres définissent la toxicomanie comme le symptôme
de souffrance psychique ressentie par des sujets extrêmement
variés, dont la structure psychologique n'a rien de spécifique
puisqu'elle entre dans les catégories habituelles de la maladie
mentale.
La personnalité du toxicomane existe-elle ? N'est-elle pas,
au contraire, la résultante d'une construction imaginaire
d'un fantasme véhiculé par certains spécialistes
? Le toxicomane nous est alors présenté comme une
entité : le toxicomane type ! Or l'existence potentielle
du toxicomane type, dans la fantasmatique des soignants, a surtout
permis d'établir des théories rationnelles insistant
sur le fait qu'il y aurait de " vrais " toxicomanes en
opposition " aux faux toxicomanes ". S'arrogeant ainsi
le pouvoir d'établir cette distinction entre " les vrais
" et " les faux ", les spécialistes faisaient
alors une différence radicale entre le toxicomane et les
autres, c'est-à-dire entre le toxicomane et nous-mêmes.
Heureusement, les discours tenus dans les années 1970-1975
ont beaucoup évolué, en particulier dans les années
1981 lorsque la distinction entre usage et toxicomane a clairement
été mise en évidence. La plupart des intervenants
en toxicomanie confirment aujourd'hui la grande variété
des personnalités qui constituent ce sous-groupe appelé
toxicomanes. La toxicomanie résulte d'un phénomène
interactif complexe, où de nombreux paramètres entrent
en ligne de compte. La drogue n'est en fait qu'un des éléments
qui contribuent à la construction de ces conduites dites
déviantes, ou encore de ces nouvelles " sociopathies
". Nous retiendrons la définition donnée par
l'ensemble des spécialistes :
" La toxicomanie résulte de la rencontre d'un individu,
d'un produit toxique, et d'un moment de société. "
Nous ne devons pas oublier que le fondement de la personnalité
repose, pour chacun d'entre nous, sur un passé, une histoire
affective, un ancrage social, économique, culturel.
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Les sources d'informations |
Les sources d'information dont nous disposons proviennent du ministère
de l'Intérieur, des statistiques des interpellations policières
et judiciaires de l'Office central de répression du trafic
illicite de stupéfiants (l'OCRTIS), de la direction générale
des Douanes, des rapports d'activité des différentes
institutions spécialisées, des études épidémiologiques
et des recherches effectuées par le CNRS ou l'INSERM et des
rapports effectués par la Mission interministérielle
de lutte contre la toxicomanie (MILDT).
Les chiffres annoncés ne peuvent être qu'approximatifs
bien sûr, car il est impossible de repérer tous les
usagers de drogue (revendeurs ou toxicomanes) qui vivent souvent
dans la clandestinité. Seule la partie émergente du
phénomène est quantifiable. Les toxicomanes ne sont
pas là où les institutions officielles de contrôle
les attendent.
De ce fait, certaines personnes dramatisent les faits réels.
La toxicomanie frappe les imaginations et, là encore, il
convient de relativiser les discours véhiculés et
de vérifier la source des informations transmises. Les médias
contribuent d'ailleurs à maintenir certains stéréotypes
concernant non seulement les drogués mais la jeunesse dans
son ensemble. Toutefois, on ne peut nier le besoin d'information
dans ce domaine.
Il ressort de diverses investigations scientifiques et enquêtes
journalistiques qu'il existe non pas une mais des conduites toxicomaniaques
et que les caractéristiques de ces conduites sont variables.
En effet la " population " des usagers de drogue évolue
très rapidement, parfois d'une année sur l'autre.
La drogue est consommée différemment selon les classes
d'âge et les milieux sociaux; de ce fait, les toxicomanes
ne constituent pas un groupe homogène. Si la toxicomanie
demeure un problème social prioritaire qui préoccupe
les gouvernements successifs, c'est parce qu'elle constitue une
" menace " réelle pour les adolescents. Un article
de l'hebdomadaire Le Point (7-13 juillet 1986) faisait état
de " la menace qui pèse sur tous les enfants ",
et se référait au rapport de l'OCRTIS : " Tout
jeune, quelles que soient sa personnalité, son éducation,
ses activités, l'ambiance familiale dans laquelle il vit,
peut faire l'expérience de la drogue. " Dans le même
article, le Comité national d'information sur la drogue affirme
: " 5% de chaque tranche d'âge entre 12 et 16 ans (environ
35 000 jeunes chaque année) sont condamnés en raison
de leur toxicodépendance à abandonner leurs études
sans qualification, à devenir para-sociaux voués à
des activités misérables pour gagner l'argent nécessaire
à la satisfaction de leur besoin immédiat. "
Enfin un rapport effectué par des parents d'élèves
de l'enseignement public (PEEP) confirme : "Sept adolescents
sur dix, âgés de 13 à 20 ans, touchent au moins
une fois à la drogue : colle, solvants, volatils, cannabis,
cocaïne, héroïne."
Pour procéder à l'étude de la personnalité
des toxicomanes ou des conduites toxicomaniaques, les chercheurs
font des enquêtes épidémiologiques auprès
d'un nombre donné de toxicomanes (nombre souvent limité
à ceux qui acceptent de répondre au questionnaire
type). Le contexte thérapeutique permet une écoute
plus affinée (étude clinique, analyse après-coup
des situations vécues par le client). Selon Jean Bergeret
et Guy Journet " l'étude de la personnalité profonde
du toxicomane doit nous permettre de répondre à trois
niveaux de questions :
- Les toxicomanes se situent-ils dans un monde à part du
nôtre ? Sont-ils différents de nous ? Sont-ils
coupés de nous ?
- Existe-t-il un mode de structure mentale spécifique et
unique qu'il nous serait possible de qualifier de toxicomaniaque ?
- Au-delà de la drogue employée, qu'existe-il de
commun, de profond, de latent, derrière le phénomène
toxicomaniaque ?
Nous avons retenu quatre variétés de paramètres
qui nous renseignent sur les causes de la toxicomanie et qui précisent
les caractéristiques (attribuées par les spécialistes
de la psychopathologie de l'adolescent, les sociologues et les psychiatres)
des populations toxicomanes :
- l'adolescence,
- la famille, la relation parent-enfant,
- le contexte historique, culturel,
- le contexte socio-économique.
Une distinction est généralement effectuée
entre les approches portant sur l'organisation de la personnalité
et la structure psychologique des toxicomanes dépendants
(de type clinique) et les approches (de type sociologique) portant
sur la toxicomanie comme " fait social ". Il est certain
qu'à travers les monographies, interviews, enquêtes
effectuées, on aperçoit "une constellation de
facteurs mêlés en un agrégat compact, réduction
qui anéantit la hiérarchie" causale "réelle
de chacun des facteurs considérés".
Notre approche tient compte de deux formes d'investigation, toutes
deux issues des sciences humaines :
- la psychologie clinique
- la psychosociologie.
Les toxicomanes ne sont nullement des êtres à part,
des mutants, différents de nous. Ils ont été
des enfants, puis des adolescents, avant de rencontrer la drogue.
Tous les adolescents, qui prennent un jour de la drogue "pour
faire comme les copains", ou "pour voir ce que ça
fait", ne deviennent pas obligatoirement des toxicomanes (heureusement
!). La cause profonde qui soutend le déclenchement d'une
conduite toxicomaniaque trouve ses racines dans l'histoire individuelle
de chaque sujet, car toute névrose est le symptôme
d'un conflit intérieur mal résolu. Cependant, la trajectoire
sociale des sujets intoxiqués démontre à quel
point la toxicomanie est un facteur de marginalisation, d'inadaptation,
de misère, quelles que soient les conditions de vie initiales
de ces adolescents (dans leur famille). La drogue, s'ajoutant à
la crise d'adolescence, a pour conséquence de favoriser une
véritable déstructuration sociale.
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Une population adolescente |
La notion d'adolescent est une construction récente. La
société a longtemps vécu sans se représenter
l'enfant ou le jeune. Nous savons que l'enfant, à peine physiquement
débrouillé, était autrefois mêlé
à la vie des adultes et partageait leurs activités.
A travers l'étude de Philippe Ariès, nous constatons
; "La famille ancienne avait pour mission très ressentie
la conservation des biens, la pratique commune d'un métier,
l'entraide quotidienne, la protection de l'honneur et des vies.
Elle n'avait pas de fonction affective, le sentiment entre les époux
et entre les parents et les enfants n'était pas nécessaire
à l'existence ni à l'équilibre de la famille :
tant mieux s'il venait de surcroît."
La crise d'adolescence : une crise d'insertion dans le monde des
adultes
Pourquoi les adolescents constituent-ils des sous-groupes, des
bandes ? S'agit-il d'une micro-société produisant
ses propres valeurs, ses systèmes de références,
ses langages ? Doit-on parler d'une sous-culture adolescente qui
valoriserait les comportements antisociaux et la marginalisation
pour se différencier des adultes ? Quelle serait alors la
fonction de la drogue pour tous ces jeunes ?
Pour trouver des éléments de réponse à
ces interrogations, il faut, dans un premier temps, redéfinir
la notion d'adolescence. La différenciation entre l'enfant
et l'adolescent se fait tout d'abord en tenant compte des bases
physiologiques qui permettent de repérer la puberté.
Ces signes de développement pubertaire (imprégnations
oestrogéniques, croissance, apparition des seins et des menstruations
chez la fille; croissance, pilosité, acné, première
éjaculation chez le garçon) et leurs corollaires psychologiques
permettent de distinguer deux phases institutives de l'adolescence
: une première phase de maturation biologique, une
seconde phase de maturation psychologique.
Piaget a mis en évidence la transformation de la pensée
chez l'enfant, qui passe par le stade de la pensée concrète
(7-12 ans) et par celui de la pensée formelle.
Les progrès de la logique chez l'adolescent permettent son
insertion dans la société adulte. L'accès aux
valeurs morales abstraites place l'adolescent devant ses responsabilités.
" La découverte de la psychanalyse par S. Freud éclaire
ce processus de maturation qui succède à la phase
de latence. "Après S. Freud, chacun reconnaîtra
l'importance de la puberté, le rôle joué par
l'accession à la sexualité, et par là même
le regroupement des pulsions partielles sous le primat de la pulsion
génitale."
Selon Anna Freud et Erikson, la puberté serait la dernière
chance de résoudre le conflit oedipien. Durant cette période
de sa vie, l'adolescent affronte ses parents et se trouve dans la
quasi-obligation de les rejeter pour pouvoir grandir et accéder
à une certaine autonomie. Le docteur Branconnier et D. Marcelli
précisent dans leur ouvrage : "La réaction des
conflits oedipiens fait rejaillir le risque d'un inceste qui, cette
fois, pourrait être réalisable." C'est l'âge
où le futur adulte va devoir assumer l'angoisse de castration,
ce qui signifie : assumer la différence, le manque,
l'incomplétude. La résolution du complexe d'Oedipe
passe par l'abandon de l'imago parental, en tant qu'objet libidinal;
le sujet " introjecte " les interdits parentaux.
En faisant référence aux travaux de Philippe Ariès,
il nous a paru intéressant d'observer que les échanges
affectifs et les communications sociales étaient assurés
en dehors de la famille par un milieu très dense et très
chaud, composé de voisins, d'amis, d'enfants et de vieillards,
de maîtres et de serviteurs, de femmes et d'hommes, où
l'inclination jouait sans trop de contrainte. Les familles conjugales
y étaient diluées. Les historiens français
appellent "sociabilité" cette propension des communautés
traditionnelles aux rencontres, aux fréquentations, aux fêtes.
Lorsque l'enfant était en âge de travailler, il rejoignait
le monde des adultes en devenant un homme, sans passer par les étapes
de la maturation que représente l'adolescence. Rappelons
que l'entrée dans le monde du travail se faisait à
l'âge de 8 ans et que les notions de pré-adolescence
et d'adolescence (qui sont des constructions sociologiques récentes)
n'existaient pas.
En France, entre 1830 et 1855, un ouvrier sur huit était
un enfant. Il faudra attendre 1936 pour que l'âge d'entrée
dans la vie active et professionnelle soit fixé à
14 ans. Aujourd'hui, cet âge a été repoussé
à 16 ans. L'entrée dans le monde adulte est de plus
en plus tardive. L'accès à la vie professionnelle
est médiatisée par de longues périodes de formation,
retardant parfois la stabilisation des individus.
La psychologie de l'enfant va se développer dès le
début du XXème siècle, transformant du même
coup l'élevage des tout-petits, l'éducation, la pédagogie.
La famille va redonner une place privilégiée à
l'enfant, lui accorder de l'affection, veiller à son épanouissement
et à ses loisirs, mais elle va également retarder
son entrée dans la vie. Parallèlement à cette
évolution, la jeunesse va s'affirmer en s'opposant aux valeurs
des adultes. L'adolescence est une période intermédiaire
qui s'étale sur plusieurs années. Cependant, dans
la vie quotidienne, le passage de l'enfant à l'adulte se
fait progressivement dans un continuum. La notion d'adolescence
opère dans ce continuum une série de coupures qui
relèvent d'un arbitraire social. En désignant socialement
les différentes étapes de construction de l'adulte,
on introduit des segmentations artificielles et des ruptures qui
participent à leur tour à la construction des problèmes
sociaux, celui des jeunes en particulier. En ce sens la "guerre
des générations" est liée à l'évolution
de la société industrielle. Nous retiendrons de cette
approche psychanalytique de l'adolescence, qu'il existe une crise
normale de l'adolescence, dont la résolution est toujours
partielle.
Les psychanalystes, Anna Freud, Blos, Kestemberg, Erikson, Cordeiro,
ont décrit la phase normale de la crise d'adolescence, qui
débouche sur "le choix d'objet hétérosexuel",
en opposition à la crise d'adolescence pathologique. La réorganisation
totale de la personnalité de l'adolescent implique un travail
de deuil douloureux, "travail" qui ne peut se faire sans
engendrer une perturbation des relations que le sujet entretient
avec le monde extérieur.
Une dépression ou morosité peut accompagner cette
profonde mutation intérieure. Si, par ailleurs, surviennent
à ce moment certains traumatismes liés à la
vie familiale ou sociale, la crise d'adolescence peut engendrer
des problèmes psychologiques. Pour des raisons intra-psychiques,
la crise d'adolescence peut favoriser l'émergence de divers
symptômes réactionnels : troubles du comportement
ou encore troubles psychosomatiques. Engagé dans une lutte
qui oppose une réalité extérieure à
la réalité subjective du monde intérieur, l'adolescent
va régresser.
Dans certains cas, ces symptômes phénoménologiques
seront l'expression d'une névrose (névrose d'échec,
névrose d'inhibition) ou, ce qui est plus grave, d'une dissociation
psychotique. Par ailleurs, les adolescents de notre société
moderne ont d'autant plus de mal à trouver "leur identité"
que plusieurs modèles d'identifications contradictoires leurs
sont offerts (transformation des rôles masculins et féminins,
libération de la femme, transformation de l'image de la famille
...). On pourrait dire qu'aux problèmes personnels des adolescents
s'ajoutent d'autres difficultés générées
par les changements culturels de notre société. Retenons
que l'état "morose" est un syndrome qui se caractérise
par un refus d'investir le monde. L'adolescent, confronté
aux frustrations du monde réel, ne parvient pas à
supporter la vie quotidienne.
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La symptomatologie |
Voici les différentes symptomatologies qui caractérisent
la crise d'identité chez l'adolescent psychopathe.
Le passage à l'acte
Le comportement antisocial de l'adolescent est caractérisé
par le "passage à l'acte". L'impulsion, l'expression
violente d'un refus ou d'une révolte, une manifestation brutale
et parfois imprévisible de l'agressivité rendent les
psychopathes dangereux pour la société. Ce type de
comportement est "agi" par une violence intérieure
qui, selon les cas, est tournée vers les autres (coups, violences
sexuelles, délits, vols, détériorations de
matériel) ou au contraire portée contre soi-même
(automutilation, suicide).
La faiblesse du " moi "
Cette notion éclaire les conduites psychopathologiques de
l'adolescent. Ces sujets ont un seuil de tolérance de la
frustration et de l'angoisse plus bas que la moyenne, qui entrave
leurs possibilités d'adaptations sociales, une difficulté
liée à une capacité de sublimation insuffisante,
une impossibilité à dominer leurs pulsions.
Les carences affectives
Les carences précoces (mauvaise relation à la mère)
empêche le processus de maturation du nourrisson, en particulier
ses possibilités d'investissement narcissiques. Des ruptures,
des manques menacent l'évolution de l'adolescent ultérieurement,
car son " image du moi " n'est pas investie par lui d'une
manière solide, permanente, et stable.
La dépression, le deuil
Les adolescents passent fréquemment par une période
où leur humeur change et devient dépressive. Cette
modification de l'humeur s'accompagne très souvent d'un sentiment
de dévalorisation, une dépréciation. Une dépression
peut s'installer sur ces bases, à savoir une déstructuration
narcissique (c'est un signal d'alarme). Pour tout adolescent, cette
phase comporte des risques, puisque le "moi affaibli"
s'engage dans "un travail de deuil douloureux" (abandon
des imagos parentaux) qui est d'ordre dynamique.
L'auto-punition
Quelles que soient les stratégies et les trajectoires des
toxicomanes, cette transgression vers un ailleurs se termine par
un mal être, un mal de vivre redoutable. La drogue redouble
à sa manière la difficulté d'exister dans la
réalité sociale. Les toxicomanes qui ne parviennent
pas à contrôler leur appétence pour une drogue,
et ne peuvent l'utiliser sporadiquement, en dépendent. Parfois
ils en meurent, et cela est suffisant pour que nous comprenions
la gravité de leur problème.
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La guerre des générations |
Les études sociologiques contemporaines mettent en évidence
les problèmes de la jeunesse et nous renseignent sur les
facteurs qui contribuent à favoriser ce que l'on a appelé
"la guerre des générations". Les premières
études concernant la jeunesse datent de 1891. En 1905, le
livre de Stanley Hall, Adolescence, a un retentissement mondial.
M. Mead, G. Mendel, E. Morin s'intéressent aux comportements
des adolescents et aux phénomènes de masse qui apparaissent
dans toutes les sociétés industrialisées. C'est
vers 1960 qu'est né le concept de "guerre de générations"
ou de "crise d'adolescence", dans un contexte marqué
par les bouleversements culturels et politiques qui secouèrent
les États-Unis à cette époque. Un rapport de
l'ONU fait état de manifestations étudiantes dans
cinquante pays en 1968 où la jeunesse constitue une "classe
à part", qui s'octroie le droit d'interroger les adultes
sur le monde moderne, à travers des considérations
philosophiques, éthiques et politiques. "Les mots clés
du rapport de l'UNESCO de 1968 étaient : confrontation-contestation,
marginalisation, contre-culture, contre-pouvoir, culture des jeunes.
Les jeunes étaient alors perçus comme un groupe historique,
distinct et identifiable ... Cette génération a été
séparée des aînés par un énorme
fossé."
En France, dès 1970, de nombreuses enquêtes sont menées
sur les jeunes. Il ressort de ces investigations (déjà
anciennes) que les jeunes se sentent solidaires les uns des autres,
et que la contestation équivaut, pour la majorité
d'entre eux, à un rite initiatique précédant
l'entrée dans la vie active. Beaucoup sont angoissés
par leur devenir et ressentent un malaise individuel, un sentiment
de "ras le bol" qui débouche sur la contestation
ou la transgression. La bande d'adolescents correspond à
des besoins : trouver des modèles d'identification (rôle
du leader); remplir une fonction protectrice et sociale; posséder
sa vie propre, faite de regroupements, d'alliances, de ruptures,
d'histoires d'amour et de haine. "On observe le déplacement
sur le groupe de la problématique paranoïde potentielle
de l'individu adolescent." Par ailleurs, les générations
d'adolescents changent très rapidement. La crise conjoncturelle
qui sévit dans notre monde moderne débouche sur des
angoisses existentielles liées au chômage, à
la révolution technologique, à la baisse du pouvoir
d'achat, au risque d'être propulsé dans la nouvelle
pauvreté. De ce fait, les préoccupations de la jeunesse
actuelle sont différentes de celles de leurs aînés.
Le rôle de la famille évolue également car,
dans cette période de déstructuration sociale, les
rapports parents-enfants participent en grande partie à la
construction de l'adolescent : La famille aussi bien dans ses fonctions
externes socioculturelles que dans ses fonctions internes propres
au psychisme de chacun (image parentale et type de relation d'objet)
structure et organise l'évolution de l'adolescent.
Gérard Mendel interprète "la crise des générations"
comme l'impossibilité pour l'adolescent d'affronter le conflit
oedipien dans la société actuelle. Il oppose : le
père (c'est-à-dire le social, le progrès, la
technologie) à la mère (c'est-à-dire la nature
archaïque et forte, qui règne sur l'inconscient collectif
par des forces irrationnelles). selon lui, l'adolescent ne peut
rivaliser avec un père auquel il ne peut s'identifier, un
père social, faible, châtré, écrase par
le progrès scientifique, d'où son refus de l'héritage
socioculturel qui lui est légué. " La crise d'adolescence
se définit comme l'impossibilité pour l'adolescent
d'affronter victorieusement le conflit oedipien. En effet, le père
social, la culture se trouvent étouffés par la nouvelle
nature technologique : la mère archaïque, forte, règne
à nouveau sur l'inconscient rendant impossible l'identification
au père social. Comment, en effet, s'identifier à
un père social faible, châtré ? De même,
l'adolescent ne peut qu'aller en refusant toujours davantage l'héritage
socioculturel, l'acquis de la civilisation dans la mesure où
cet héritage et cet acquis sont inconsciemment appréhendés
comme n'ayant pas suffi à faire le poids devant la mère.
"
De nombreux sociologues émettent d'ailleurs l'hypothèse
d'un lien entre "la crise d'adolescence" et "la crise
de société". A ce sujet, Jean Duvignaud écrit
:
"Entre la fin de l'adolescence et l'établissement dans
la société, s'étend un marais qui n'a pas de
place déterminée. C'est le moment où les jeunes
s'affrontent aux institutions établies par les générations
précédentes."
Par ailleurs, la civilisation est, elle aussi, traversée
par des crises, peut-être nécessaires à sa croissance
et à son évolution. Nous pouvons comparer ces deux
phénomènes sociologiques : la crise de la civilisation
occidentale et la crise d'adolescence. Par extension, la guerre
des générations, traduite par une rupture de la communication
entre adolescents et adultes, pourrait être interprétée
comme une réaction de défense inconsciente des jeunes
contre le monde moderne qu'ils n'ont pas choisi et qu'ils subissent
parfois. Lorsqu'on a 16 ou 18 ans, on a besoin de se forger un idéal
et de croire en certaines valeurs.
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Adolescence et toxicomanies |
Certes, l'adolescence est une période de mutation dans la
vie d'un individu qui va quitter l'enfance pour entrer dans le monde
des adultes. Cette lente transformation, physiologique et psychologique,
s'accompagne souvent de troubles caractérisés par
l'opposition, le refus de l'autorité parentale ou le déni
de la réalité. C'est pourquoi il serait dangereux
de plaquer trop rapidement un diagnostic de "malade mental"
sur des adolescents qui éprouvent le besoin de transgresser
la loi sociale, ou adoptent un comportement qui paraît pervers
et destructeur, car à cette époque de la vie rien
n'est figé. La drogue est utilisée par certains jeunes
pour régler temporairement des problèmes affectifs
inconscients; elle devient alors un objet fétiche, auquel
les "initiés" attribuent des pouvoirs "magiques".
Le produit est censé combler leur manque affectif ou les
protéger de la réalité trop frustrante.
La drogue favorise une confrontation de l'individu avec ses limites
psychiques et organiques. Mais, corollairement, elle entraîne
une fuite de la réalité sociale, un évitement
des contraintes, des obligations, des responsabilités. L'individu
qui se drogue régulièrement adopte un mode de vie
qui porte en germe un retrait narcissique, un repli sur soi. La
toxicomanie aboutit souvent à l'impasse d'une jouissance
immédiate, absolue et tyrannique. Si, pour certains adolescents,
la drogue est une "épreuve" qui a valeur d'initiation,
nous devons essayer d'en comprendre la cause. Les phénomènes
de contre-culture qui se sont développés aux États-Unis
dans les années 1960, et dix années plus tard en Europe,
sont à ce titre riches d'enseignements. Nous avons cherché
à discerner les principales caractéristiques de ce
mouvement, afin de mettre en évidence les corrélations
existantes entre la montée du phénomène de
drogue et la crise de la société occidentale qui est
entrée dans la phase de la "post-modernité".
Si, dans les années 1970, la jeunesse du monde occidental
recherche au moyen de l'usage de substances toxiques un "ailleurs",
mais aussi de nouvelles valeurs existentielles, il n'en est plus
de même en 1980. Le sens de la consommation de drogue a lui
aussi changé. Nous avons tenté de résumer cette
évolution des modes de consommation et des populations droguées.
Le mode postmoderne
La "société de consommation" débute
avec le XXème siècle. Elle illustre la rapide transformation
du système économique et social qui secoue les sociétés
industrielles après la seconde guerre mondiale. Il est intéressant
de noter que la consommation en masse des produits manufacturés
va coïncider, dès les années 1960, avec la consommation
en masse de produits toxiques et chimiques. Selon certains auteurs,
la toxicomanie est un révélateur qui éclaire
les tensions, les inquiétudes et les malaises qui oeuvrent
en profondeur à la refonte sociale du monde postmoderne.
Les années 1960 seraient en ce sens une tentative collective
de remise en cause des valeurs puritaines qui caractérisaient
le monde moderne.
Le monde dans lequel nous vivons s'appuie sur la foi en la science,
le culte de la personnalité et la recherche du plaisir individuel,
autrement dit l'égocentrisme narcissique et l'hédonisme,
comme nous l'explique Fernando Gébérovich?. Ne voyons-nous
pas se profiler à travers la description de l'homme postmoderne.
ce curieux personnage appelée "le toxicomane" qui
veut tout, et tout de suite !
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Le mouvement de contre-culture aux États-Unis |
Le phénomène hippie
Ce phénomène débuta à San Francisco
aux alentours des années 1960 dans un contexte politique
et philosophique marqué par les premiers mouvements contestataires
qui avait vu naître les Beatniks dix ans auparavant. De célèbres
écrivains et poètes chantent alors les louanges de
l'extase que procure la drogue. Jack Kerouack, Allen Ginsberg, W.
Burroughs, Timothy Leary deviennent les poètes de la Beat
Génération ".
Le refus de la société de consommation
Avec le mouvement hippie, cette fois encore, la jeunesse américaine
s'oppose aux valeurs des adultes (il s'agit principalement d'étudiants
issus de classes sociales privilégiées). En 1967,
le phénomène hippie s'étend à toute
l'Amérique, alors que la guerre au Viêt-nam s'intensifie.
En 1969, ces étudiants contestataires se politisent. Ils
participeront à la lutte pour les droits civiques des Noirs,
et contre la guerre au Viêt-nam. Ils organiseront d'importantes
manifestations dans les campus, où ils dénoncent les
valeurs de la société de consommation. Ils prônent
la non-violence (sous l'influence de Ghandi et M. Luther King) et
créent un slogan devenu célèbre "Peace
and love ". Par ailleurs, Marcuse dénoncera le système
établi et sa capacité à récupérer
tous les désirs et les motivations de l'individu, pour les
mettre au service du système de production.
La recherche de nouvelles valeurs
C'est également l'époque des rassemblements gigantesques
autour des concerts rock dont le plus important fut celui de Wood
Stock. Beaucoup vivent en communauté et consomment des "soft-drugs"
ou "drogues douces", en particulier de la marihuana et
des champignons hallucinogènes ou du LSD dont Timoty Leary
s'est fait le promoteur. La drogue n'est pas une fin en soi, elle
est utilisée pour mieux réfléchir, découvrir
des perceptions nouvelles, favoriser l'élargissement du champ
de conscience individuel. De nombreuses productions artistiques
(musique, cinéma, théâtre, poésie) vont
donner lieu à la création du mouvement psychédélique.
La drogue sera cependant associée à l'horreur lorsqu'en
1969 Sharon Tate, (la femme de Roman Polanski) est exécutée,
ainsi que plusieurs de ses amis, dans sa villa de Los Angeles, par
une secte dirigée par un dément (la drogue aurait
servi à permettre le crime rituel abominable).
La route des Indes
La route . Les précurseurs "faisaient la route",
parce que la route est synonyme de cheminement et que le bonheur
est une quête. Il faut abandonner toutes ses valeurs anciennes,
tout quitter, et partir ... Ils ne croient plus au progrès
scientifique, qui ne leur a pas apporté le bonheur qu'ils
espéraient. Ils ont soif d'absolu.
Les Indes. Parce que l'ordre social que l'on quitte n'offre pas
de finalité, l'homme nouveau ne peut naître qu'ailleurs,
projeté dans un autre monde matériel et spirituel
Il lui faut un mode favorable à l'éclosion de ses
nouvelles valeurs et à la révélation de la
sagesse. Ce sera Katmandou au Népal.
La fin des utopies
Francis Marion, du service social auprès du consulat général
de France à Bombay, en 1976, nous dit : "Je parlerai
volontiers de l'échec de la philosophie hippie, ou plutôt
de la prise de conscience de leur échec par les hippies eux-mêmes.
Ils sont en effet inexistants, ceux qui, parmi le flot migrant,
parlent encore des freaks comme d'un peuple vivant. L'idée
de la construction d'un hippiland est totalement abandonnée,
et les penseurs du mouvement se sont tus depuis longtemps ..Le junkie,
c'est celui qui se "pique" à n'importe quoi, risquant
la mort à chaque intraveineuse; c'est en définitive
un hippie qui a perdu l'espoir. La route des Indes correspond à
un mouvement de migration des jeunes Occidentaux. Migrations en
masse, qui est un phénomène récent. Le mouvement
initial vient des communautés puissamment motivées,
qui s'étaient constituées en Californie. Il en reste
une image d'Épinal de jeunes à la chevelure fleurie
des années 1960. Le mouvement a changé, il est l'héritier
des précurseurs, mais il a subi les revers dont la drogue
fait partie . Beaucoup de ces jeunes sont depuis longtemps retournés
dans le système" .
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Le mouvement de contre-culture en France |
Les marginaux
Les événements de mai 1968 ont vu apparaître
une nouvelle idéologie : le gauchisme, fondée sur
une vision dichotomique du monde. Deux classes s'opposent : la bourgeoisie
et le prolétariat. Les étudiants quittent l'Université
pour rejoindre les ouvriers à l'usine. Mais l'identification
étudiants-prolétariat va échouer. Un certain
nombre de ces jeunes étudiants, issus de milieux aisés
ou appartenant à la petite bourgeoisie, vont se retrouver
hors du système de production et vont progressivement se
marginaliser. Déçus, ils rejoignent les communautés
et vivent en marge du système social (retour à la
terre). c'est dans ce contexte politique que s'inscrit le phénomène
d'intoxication en masse de jeunes appartenant à toutes les
classes sociales. La marihuana, le LSD et les hallucinogènes
sont consommés dans les milieux intellectuels fascinés
par le mouvement hippie. Bien qu'il soit extrêmement difficile
de dater avec précision l'apparition de ce phénomène
social en France, on a coutume de dire qu'il date des années
1970-1971. C'est du moins à partir de cette époque
que la presse fait état de plusieurs décès
par overdose. Rapidement, on va considérer la toxicomanie
comme un fléau national. La loi de 1970 est votée.
La banalisation de la drogue (1974-1975)
Il ressort des études épidémiologiques de
ces dernières années que la toxicomanie est liée
à un phénomène de dépression collective,
qui a succédé à l'échec des étudiants
et des intellectuels après 1968 (dépression, "craquage"
des jeunes partis à la recherche d'un mythe, d'une utopie,
et qui rencontrent le marché de la drogue). Les drogues qui
tendaient à développer l'inspiration esthétique,
artistique et l'auto-analyse, ont été remplacées
par l'héroïne dans un contexte de violence, d'insécurité,
de pauvreté.
Les choses ont bien changé depuis 1968. Aujourd'hui, le
vécu de la drogue semble dominé par le besoin de "s'écrouler",
être absent du monde. En effet, l'usage de la drogue est loin
d'être un support de communication (réelle ou illusoire)
entre les jeunes. La prise de produit renvoie l'individu à
sa solitude en témoigne la progression des drogues majeures
(héroïne), des médicaments (barbituriques), des
solvants, qui s'ingèrent seuls sans rite, sans guide, et
qui ont pour effet de favoriser le retrait du monde extérieur.
Plus que jamais on peut parler de fuite du réel, sans qu'il
y ait cependant véritablement refuge dans le symbolique ou
le sacré fantasmatique. Actuellement, la toxicomanie est
encore une forme de marginalisation ou de refus de la vie sociale,
mais ce "refus" individuel ne s'appuie sur aucune idéologie.
Cette attitude s'accompagne très souvent d'une violence faite
à soi-même, d'un processus d'auto-destruction ou d'exclusion.
Mais, là encore, gardons-nous bien de généraliser.
Les toxicomanes ne constituent pas un sous-groupe homogène
.Il existe plusieurs cas de figures ; certains individus se droguent
tout en continuant à travailler, d'autres vivent en couple,
d'autres encore chez leurs parents. Le phénomène drogue
s'est en quelque sorte banalisé et n'engendre plus les mêmes
réactions de panique et de rejet de la part de l'entourage.
Le sociologue Gérard Mauger nous explique, d'un point de
vue sociologique, comment une "consommation de drogue contre-culturelle"
a pu devenir "un fléau social" en quelques années.
Il décrit le résultat des deux enquêtes qu'il
a effectuées entre 1972 et 1975, après s'être
promené partout en France durant trois ans, de communauté
en communauté, de lieux de rendez-vous en lieux contre-culturels
... et, en 1979, parmi les jeunes ouvriers de la banlieue parisienne.
Dans la première enquête, il souligne que la drogue
apparaît comme un "balisage" d'un phénomène
de contre-culture, alors que dans la seconde enquête la drogue
est devenue un " fléau social ".
On parle de "banalisation" et de "démocratisation"
de la drogue à compter de 1974. G. Mauger confirme l'hypothèse
selon laquelle il y aurait eu "banalisation ou démocratisation
de la drogue à un moment précis .." , car il
constate que le phénomène s'est surtout étendu
aux banlieues des grandes villes, dans les couches populaires, dans
les campagnes, et concerne, non plus les anciens gauchistes, les
marginaux, les étudiants déçus ou les petits
bourgeois, mais tous les milieux sociaux.
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