De tous temps, les hommes se sont adonnés à la drogue.
Mais l'usage de la drogue dans les société traditionnelles
obéissait à certaines règles : il y avait une
distinction entre les drogues douces à usage quotidien, qui
ne bouleversaient pas la façon de vivre, et les plantes sacrées
consommées lors de cérémonies rituelles, dont
l'accès était limité et l'usage contrôlé.
Ce rapport à la drogue va être brutalement transformé
à partir du 19° siècle : celle-ci devient une
marchandise dont la consommation progresse et se banalise. Cela
va impliquer des conséquences sociales et des enjeux économiques
totalement nouveaux. L'exemple du khat au Yémen illustre
bien cette évolution. Catha edulis, cousin de notre fusain,
est un stupéfiant prohibé en France, dont les effets
sont proches des amphétamines.
Introduit au Yémen vers 1300 à partir de l'Éthiopie,
les vertus du café et du khat y ont été longtemps
comparées par les responsables. Autrefois réservé
localement aux gouvernants, mystiques, poètes et troubadours,
gens dont l'imagination a constamment besoin d'être stimulée,
son usage s'est démocratisé depuis les années
50, date à laquelle femmes et enfants même s'y adonnent.
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Au 19ème siècle, la drogue connaît une extension
considérable du fait du progrès de la chimie, de l'extension
des échanges commerciaux et du bouleversement des structures
sociales. Des substances nouvelles qui correspondent en grande partie
aux drogues actuelles sont isolées et produites.
1804 : sacre de Napoléon
1805 : extraction de la morphine à partir de l'opium
1839 : 1° guerre de l'opium
1848 : proclamation de la 2° République
1852 : Napoléon III empereur
1856 : 2° guerre de l'opium
1857 : extraction de la cocaïne à partir de la coca
1876 : Victoria couronnée impératrice des Indes
1874 : séparation de l'héroïne à partir
de la morphine
1898 : commercialisation de l'héroïne par Bayer.
1901 : mort de Victoria
1914 : 1° guerre mondiale
1935 : synthèse des amphétamines
1939 : 2° guerre mondiale
L'objectif poursuivi est de lutter contre la souffrance, et ces
nouvelles substances sont destinées avant tout à un
usage médical et chirurgical. Mais les déviances arrivent
aussitôt. Exemple : la coca. L'usage de la coca à des
fins religieuses et rituelles remonte à -2500 avant JC environ
(Amérique centrale et Caraïbes), actuellement il accompagne
les rites de la vie dans les populations indiennes des Andes.
Interdit en 1551 par le concile de Lima comme obstacle à
la diffusion du christianisme, son usage est à niveau autorisé
car il accroît la productivité des ouvriers, dont il
devient la principale forme de rémunération. Le produit
purifié est obtenu au 19ème siècle. Le vin
de Mariani, du nom du chimiste corse qui en fait commerce, crée
sa renommée, utilisé comme remontant (Jules Verne
et Pie X font l'apologie de ce remontant).
Freud, dans son essai de la coca (1884) parle des vertus médicinales
de la coca contre l'asthme, comme anesthésique et comme moyen
de lutte contre d'autres toxicomanies. Dans un nouvel essai intitulé
" cocaïnomanie et cocaïnophobie ", 3 ans plus
tard, il revient sur ses positions et constate les dangers de la
cocaïne (lui même en a fait usage). Fin 19ème
siècle, la cocaïne est en vente libre aux USA dans les
pharmacies. En 1886, naît le coca cola, mélange de
cocaïne, caféine, et noix de coca mêlé
à l'eau et au gaz carbonique. Puis sont venus les restrictions
et interdits.
Mais l'essor de la drogue accompagne le développement des
échanges commerciaux : il s'agit là d'une marchandise
particulièrement rentable, qui va être exploitée
par les grandes puissances coloniales. C'est l'Europe expansionniste,
puis les USA, qui vont développer avec les moyens de leur
puissance industrielle, la production, le commerce et le trafic,
à l'échelle du monde, du tabac, de l'alcool, de l'opium,
du haschisch, et même de la cocaïne, qu'un industriel
français déverse à flots, mêlé
au vin, dans tout l'Occident, jusqu'à la guerre 14/18, avec
la bénédiction spéciale du pape Léon
XIII et les chaleureuses félicitations du futur Maréchal
Pétain.
C'est l'Europe, l'Angleterre victorienne soutenue par la France,
qui ont imposé de force le libre trafic de l'opium en Chine,
où l'usage n'en était pas répandu, achevant
en un 1/2 siècle de désintégrer le pays le
plus peuplé et le plus civilisé du monde. L'empereur
prohibe l'importation et la consommation.
L'Angleterre victorienne, considérant " inopportun
d'abandonner une source de revenus aussi importante " livre
une première guerre de l'opium seule en 1839 (en France,
Louis Philippe et la monarchie de Juillet), la seconde conjointement
par l'Angleterre et la France (sous Napoléon III) en 1856,
à l'origine de la concession d'Hongkong. Le premier ministre
de l'époque, Lord Palmerston, rassurait en disant que "
l'opium n'est pas plus meurtrier que l'alcool "
Les premières guerres de l'opium ont donc été
engagées et gagnées par le plus grand trafiquant de
l'histoire contemporaine, la Couronne d'Angleterre. De cette époque
date la notion de la drogue-marchandise, produit essentiel du commerce
mondial, rouage du système économique et financier
international, instrument de la géopolitique des États.
Il est intéressant de constater que lorsque l'opinion commence
à s'inquiéter des ravages commis par l'extension de
la drogue, les grandes puissances vont édicter des règles
particulièrement favorables à leurs intérêts
économiques. Sous l'impulsion jamais démentie des
États Unis, les grandes puissances de la convention de La
Haye (1912) à la Convention unique sur les stupéfiants
(1961) vont imposer leur ordre à la communauté des
nations.
Une distinction se fait entre les drogues licites (tabac, alcool,
et produits pharmaceutiques) et les drogues illicites soumises à
une prohibition générale. Les premières, les
bonnes drogues produites par l'hémisphère nord, inondent
le marché (nord et sud), et sont contrôlées
par les puissances multinationales.
En France :
- Tabac : est la cause directe de 60 000 décès
/ an (chiffre qui va évoluer très rapidement en
raison de l'âge de plus en plus jeune de l'initiation).
- Alcool : 35 000 décès/an · consommation
de médicaments psychotropes.
Un dernier facteur va jouer un rôle déterminant dans
le développement de la consommation des drogues de toute
nature : le bouleversement des structures sociales lié à
l'industrialisation et à la colonisation. Tous les organismes
officiels estiment que la consommation et le trafic sont en nette
progression. On note en particulier une extension en Afrique et
dans les pays de l'Est. L'organe international de contrôle
des stupéfiants qui dépend des Nations Unies, et dont
le siège est à Vienne, note une expansion du trafic
et de la consommation suite à l'ouverture des frontières
et aux tensions sociales provoquées par le marasme économique.
Hongrie et Tchécoslovaquie sont devenues des pays de transit
au même titre que la Bulgarie est une plaque tournante pour
les drogues orientales (Proche et Moyen Orient). Production d'amphétamines
, drogues du pauvre, en Europe de l'Est. Premières saisies
d'héroïne, LSD et cocaïne à St Petersbourg
en 1991.
La progression de la consommation s'accompagne d'une modification
dans les produits consommés qui renvoie à des pratiques
sociales différenciées. De nombreux anciens ont conservé
leurs traditions; les nouveaux rencontrent de nouveaux produits.
Les hippies des années 60-70 utilisaient des drogues psychédéliques
(LSD). les yuppies (hippies) performants dans les années
80 utilisent la cocaïne., mais aussi les psychotropes et les
produits stupéfiants de synthèse.(Dopage des sportifs,
acide,
). Généralement le comportement et l'environnement
social des consommateurs les mettent à l'abri des pires excès.
Plus dévastateurs, l'héroïne, le crack, les
cocktails d'amphétamines sont souvent associés à
l'alcool et aux tranquillisants. Depuis quelques années,
l'ecstasy connaît une vogue croissante. En Grande Bretagne
les "acid parties" clandestines deviennent un phénomène
de société et un objet d'affrontement entre les ados
et les autorités.
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