|
Les sources judiciaires et pénitentiaires : Condamnations et incarcérations |
Il est difficile de mettre en relation les interpellations et les
condamnations du fait de classifications différentes. En
effet, alors que la nomenclature de l' " État
4001 " fait référence à des qualifications
policières et enregistre les infractions selon quatre classes,
la Justice utilise une nomenclature plus détaillée
(les condamnations pour ILS sont regroupées en 16 classes),
basée sur les infractions du Code pénal. Cette nomenclature
est consignée dans le code NATINF, édité par
la direction des Affaires criminelles et des Grâces, au sein
du ministère de la Justice.
Par ailleurs, le suivi statistique des affaires de la police à
la justice n'est pas possible car toute interpellation n'entraîne
pas des poursuites judiciaires : classement sans suite, simple avertissement
ou injonction thérapeutique qui, si elle est positive, aboutira
à l'extinction de l'action publique.
|
Les principales sources |
Les statistiques émanant du ministère de la Justice
couvrant toute la partie judiciaire de la chaîne pénale,
de l'entrée au parquet jusqu'aux statistiques pénitentiaires.
Nous ferons référence à deux sources statistiques,
couvrant ainsi l'étape du jugement et celle de l'incarcération
:
- les données du casier judiciaire national informatisé,
publiées par la sous-direction de la Statistique, des Études
et de la Documentation (SED) au sein du ministère de la
Justice;
- les données du fichier des détenus, publiées
par la direction de l'Administration pénitentiaire, Service
de la communication, des études et des relations internationales
(SCERI) au sein du ministère de la Justice.
L'activité du parquet n'est connue sur le plan statistique
que par les comptages annuels demandés par les services statistiques
de l'administration centrale du ministère de la Justice aux
juridictions. Ce sont les États annuels de la statistique
pénal, plus connus sous le terme de Cadres du parquet. Cette
source renseigne sur les affaires dont les parquets ont été
saisis dans l'année et sur l'orientation qui leur a été
donnée. Il s'agit de comptages globaux qui ne prennent pas
en compte la nature des contentieux, ni les caractéristiques
sociodémographiques des personnes mises en cause. Cette source
n'est donc pas utilisable pour évaluer le traitement judiciaire
des affaires d'ILS.
Casier judiciaire national
Dans le casier judiciaire national, on repère les infractions
à la législation sur les stupéfiants sanctionnées
dans les condamnations.
Le casier judiciaire national est la seule source permettant de
décrire à la fois les infractions sanctionnées
par les juridictions, les procédures de jugement, la nature
et le quantum des peines prononcées, ainsi que le profil
sociodémographique des condamnés.
Pour autant, les statistiques judiciaires ne donnent pas une image
complète de la réponse judiciaire : même lorsque
l'affaire fait l'objet d'un jugement, il peut être prononcé
une relaxe ou un acquittement, lesquels jugements ne feront pas
l'objet d'une inscription au casier judiciaire.
A fortiori, la statistique des condamnations ne vise pas à
donner une image de la criminalité ou de la délinquance
: non seulement toutes les infractions à la loi pénale
ne sont pas élucidées, mais parmi celles qui le sont,
certaines sont classées sans suite et ne sont donc pas sanctionnées
par un jugement. Pour d'autres, des voies judiciaires alternatives
à la poursuite (médiation pénale et injonction
thérapeutique) peuvent être utilisées. Enfin,
de nombreuses infractions à la législation fiscale
ou douanière sont réglées par des voies non
judiciaires.
De plus, le casier judiciaire obéit à une logique
gestionnaire et non à une logique statistique. De ce fait,
il ne reflète pas toujours l'activité des juridictions,
notamment quand se produisent les amnisties (la dernière
amnistie date de 1995. Le casier judiciaire n'inscrit donc plus
les condamnations amnistiées dès lors que la loi a
été promulguée, ce qui entraîne une baisse
sensible des effectifs de condamnations les années d'amnistie
: - 120 000 en 1995. C'est pourquoi cette année-là
est difficilement utilisable pour l'analyse statistique).
L'unité de compte est la condamnation mais plusieurs condamnations
peuvent concerner une même personne dans une année.
De plus, une condamnation peut être motivée par plusieurs
infractions ou entraîner plusieurs peines.
Dans ces cas, on détermine une infraction ou une peine dites
principales. L'infraction principale devrait, en fonction de principes
juridiques, être celle qui emporte la peine la plus sévère.
En pratique, l'exploitation statistique retient la peine la plus
sévère. En pratique, l'exploitation statistique retient
la première infraction mentionnée par le casier judiciaire.
Ainsi, en matière d'usage de stupéfiants, ne sont
comptabilisées que les condamnations sanctionnant au moins
une infraction d'usage illicite de stupéfiants parmi les
quatre premières infractions inscrites au casier judiciaire
national.
Les peines et les durées d'emprisonnement sont connues pour
les seules condamnations sanctionnant l'usage en infraction unique
ou en infraction principale (de rang 1).
Les peines et durées sont probablement sous-estimées
puisque ne sont pas comptées les condamnations sanctionnant
un autre délit en infraction principale (l'usage venant ensuite).
Or certaines études ont montré que la multiplicité
des délits associés à l'usage aggravait les
peines et les durées d'emprisonnement ferme.
Enfin, du fait d'associations fréquentes entre les différentes
qualifications d'infractions dans une même condamnation, le
nombre d'infractions mentionné est supérieur au nombre
des condamnations qui les sanctionnent.
Fichier national des détenus (FND)
Seules les incarcérations, pendant l'année, pour
usage illicite, trafic ou offre de stupéfiants en infraction
unique ou principale (placée en premier lieu sur le mandat
de dépôt) sont comptées. Il s'agit d'un flux
d'entrées en prison. Ce mode d'enregistrement ne permet donc
pas de repérer toutes les incarcérations pour une
infraction d'usage, de trafic ou d'offre de stupéfiants.
De plus, lorsqu'il y a délits multiples, l'infraction placée
en premier lieu sur le mandat de dépôt peut aussi bien
être l'infraction considérée comme la plus grave
que celle qui a été constatée en premier lieu.
Les qualifications relatives aux incarcérations ne peuvent,
faute de concordance entre les définitions, être mises
en relation avec celles relatives aux condamnations. En outre, de
même qu'une interpellation ne donne pas toujours lieu à
une condamnation, celle-ci ne mène pas forcément à
l'incarcération. Par ailleurs, quand cet enchaînement
existe, le temps écoulé entre chaque étape
varie selon les qualifications et les affaires.
|
Les condamnations et incarcérations pour ILS |
Contrairement à d'autres domaines d'infractions, celui des
stupéfiants se présente souvent sous forme de multiqualifications
au sein d'une même condamnation. Lorsqu'on recense le nombre
de condamnations prononcées pour infractions à la
législation sur les stupéfiants, l'image n'est pas
la même lorsqu'on comptabilise le nombre d'infractions sanctionnées
par une condamnation, comme nous le verrons pour les cas d'usage
de stupéfiants d'une part et de cession, transport et trafic
de stupéfiants d'autre part.
De même, la répartition entre les différentes
infractions incriminées n'a pas beaucoup changé :
la plupart des condamnations sont prononcées soit pour usage
illicite de stupéfiants, soit pour détention/acquisition
de stupéfiants.
En moyenne, un peu plus de 7 000 condamnations sont
recensées chaque année pour chacune de ces catégories.
Les infractions de commerce, emploi et transport de stupéfiants,
celles de trafic et celles d'offre et cession sont sanctionnées
en moyenne par 2 000 condamnations par an chacune.
Pour l'ensemble des condamnations pour ILS, la peine la plus souvent
retenue est l'emprisonnement ferme ou assorti d'un sursis partiel.
La durée moyenne de la peine ferme est en baisse (de 19,6
mois en 1990, elle est de 17,5 mois pour 1994).
Les peines d'emprisonnement avec sursis total concernent entre
34% et 38% de l'ensemble des condamnations selon les années.
Environ 10% de ces infractions sont sanctionnées par une
peine d'amende. Les peines de substitution, les mesures éducatives
(réservées aux mineurs) et les dispenses de peines
concernent au total moins de 5% des condamnations pour ILS.
En ce qui concerne les caractéristiques des condamnés,
comme au niveau policier, ils sont majoritairement du sexe masculin,
(90% en moyenne) et cette proportion est similaire à celle
observée sur l'ensemble des délits. En revanche, leur
âge diffère nettement de celui de l'ensemble des condamnés
pour délits : ils sont globalement plus jeunes.
Les mineurs représentent moins de 5% de l'ensemble des condamnés
pour ILS, la plupart sont âgés de 20 à 30 ans
(60% des condamnés sont dans ces classes d'âges). La
tendance au vieillissement, constatée à partir des
autres sources statistiques, apparaît également ici
: le nombre de condamnés mineurs diminue alors que celui
des plus de 30 ans augmente.
Près de deux condamnés sur trois sont de nationalité
française. Néanmoins, les étrangers sont plus
présents dans ce contentieux que dans l'ensemble des autres
délits.
|
Les condamnations et incarcérations pour offre et trafic de stupéfiants
|
Des trois types d'infractions que représentent l'offre,
le transport et le trafic de stupéfiants, la détention/acquisition
est de loin l'infraction la plus fréquemment citée.
Dans la majorité des cas, pour ce type d'infractions, les
individus sont également poursuivis pour d'autres faits,
ces derniers appartenant le plus souvent à la catégorie
des ILS. Lorsque l'infraction principale est couplée avec
un fait de trafic ou de transport, les sanctions sont les plus sévères.
Cependant, l'usage apparaît toujours comme un facteur d'allégement
de la peine prononcée.
Par ailleurs, les autres contentieux associés aux ILS sont
très fréquemment des infractions douanières
(surtout pour les cas de trafic). On recense également l'association
d'une ILS (offre - trafic) avec des vols, recels et autres atteintes
aux biens par destruction ou dégradation mais également,
fréquemment, des infractions à la législation
sur les étrangers et à la détention d'armes.
Dans tous les cas, la multiplicité des infractions commises
aggrave la peine prononcée.
Quelles que soient les modalités de diffusion de drogue
(trafic, transport ou cession), l'emprisonnement est la règle
: il représente plus de 90% des sanctions prononcées.
Si les emprisonnements fermes sont plus fréquents en matière
de cession, les durées moyennes fermes d'emprisonnement sont
deus fois moins élevées qu'en cas de trafic ou transport.
Les durées moyennes des emprisonnements fermes vont de deux
à quatre ans. En l'absence de ces trois types d'infraction,
si l'emprisonnement reste la règle, les durées moyennes
ne dépassent pas un an.
|
Les condamnations et incarcérations pour usage de stupéfiants |
Au sein du domaine des stupéfiants, l'usage illicite de
stupéfiants est l'infraction la plus fréquemment sanctionnée
après la détention et/ou l'acquisition. Pourtant la
part de l'usage, au sein des ILS sanctionnées, n'a cessé
de diminuer. Le plus souvent, les juges ont à se prononcer
sur des incriminations multiples.
Lorsqu'il y a délits multiples, les peines de prison ferme
sont plus fréquentes qu'en cas d'usage seul, et les durées
plus longues. Ainsi, 50% des usagers environ ayant commis d'autres
infractions sont condamnés à la prison ferme, dans
plus de la moitié des cas pour une durée supérieure
à 6 mois. En revanche, la prison ferme sanctionne près
d'un tiers des personnes condamnées pour seul délit
d'usage, et pour près de 90% d'entre elles, cela n'excède
pas 6 mois.
Quant aux peines d'amende, elles sont deux fois plus fréquentes
lorsque l'infraction d'usage est unique : elles sanctionnent en
moyenne 20% des délits d'usage seuls et 10% des délits
d'usage associés à d'autres délits.
Globalement, face à des multiples incriminations, les juges
ont une attitude nettement plus répressive mais la sévérité
des juges sera conditionnée par la nature des autres délits
dont s'est rendu coupable l'usager de drogue : l'usager pourvoyeur
de drogue (usage et trafic, transport et/ou cession) est le comportement
le plus sévèrement sanctionné contrairement
à l'usager également responsable de détention
et/ou acquisition.
La structure des peines prononcées à l'encontre du
simple usager de drogue présente un taux d'emprisonnement
élevé au regard des mesures prévues par le
Code pénal. Il est en effet prévu que l'action publique
ne s'exerce pas pour la constatation de la première infraction
ou si la personne a suivi jusqu'à son terme un traitement
médical. Dans les autres situations, l'emprisonnement ferme
doit rester l'exception et ne peut dépasser un an de prison.
En fait, le recours à l'emprisonnement ferme se rencontre
souvent quand l'intéressé a déjà été
condamné les années précédentes pour
la même infraction ou pour une autre et/ou qu'il ne s'est
pas présenté à l'audience (condamnation par
défaut).
Parmi les personnes ayant commis un délit d'usage de stupéfiants
(seul ou associé à d'autres délits) et condamnées
à une peine de prison ferme, certaines ne l'effectueront
pas. En effet, il peut s'agir de condamnations par défaut
- et donc non exécutoire et susceptible d'opposition - ou
encore de condamnations à l'emprisonnement ferme susceptibles
d'être converties en travaux d'intérêt général.
Seules les incarcérations pour lesquelles l'usage de
stupéfiants constitue l'infraction unique ou principale (inscrite
en premier lieu sur le mandat de dépôt) sont repérables.
|
Conclusion |
Le domaine des stupéfiants est le contentieux dont les condamnations
présentent la plus forte proportion d'infractions multiples
imbriquées les unes dans les autres et l'aggravation des
peines en cas de multiqualification se fait sentir dans les durées
d'emprisonnement. On relève également le rôle
minorant de l'usage illicite de stupéfiants dans une condamnation
sanctionnant également d'autres infractions du même
domaine. Mais, ces données montrent bien que la prison pour
l'usager existe, contrairement à ce que l'on peut entendre
parfois.
Cependant, il convient de souligner la pauvreté des renseignements
contenus dans les qualifications pénales en matière
de stupéfiants, notamment sur le type de drogue et la quantité.
Il faut donc faire attention à la qualification retenue
par les juges. Ainsi, dans certains cas, l'usage simple sera retenu
pour un usager revendeur dont l'activité de deal n'a pas
pu être démontrée au procès; à
l'inverse, la qualification de trafic - mais surtout celle de détention
et transport - peut apparaître pour un usager interpellé
alors qu'il venait de s'approvisionner, et qu'il avait donc une
grosse quantité de stupéfiants sur lui.
Ce type de négociations ne transparaît évidemment
pas dans les statistiques analysées précédemment.
Se pose donc le problème des limites souvent floues entre
les différentes catégories : quels sont les critères
qui permettent de distinguer à coup sûr un usager d'un
revendeur par exemple. Il n'existe pas de règle générale
sur ce point.
En ce sens d'ailleurs, la qualification des ILS établie
par les services de police (il ne s'agit que d'une qualification
provisoire attribuée par les agents et officiers de police
judiciaire en fonction des crimes et délits que les faits
commis ou tentés figurant dans les procédures sont
présumés constituer. La qualification des infractions
pourra être largement modifiée ensuite par le parquet.
Seules les décisions de justice établiront la qualification
définitive.) et les modalités dont ils rendent compte
au parquet vont largement déterminer la décision judiciaire.
Dans sa dernière étude, Michel Setbon (L'injonction
thérapeutique. Évaluation du dispositif légal
de prise en charge sanitaire des usagers de drogues interpellés,
CNRS, rapport de recherche, 1998) constate, parmi les tribunaux
enquêtés (sélection de 25 tribunaux de grande
instance suivant la prévalence des usagers de drogue interpellés
et le nombre d'injonctions thérapeutiques prononcées
sur l'année 1994), de fortes disparités suivant la
qualification de l'infraction retenue contre un usager : usage simple
ou usage/revente ?
Cette distinction a toute son importance quant aux suites judiciaires
susceptibles d'être arrêtées, notamment pour
l'injonction thérapeutique puisque seuls les usagers simples
peuvent en bénéficier.
Les éléments qui permettent de déterminer
la qualification de l'infraction mêlent des critères
de quantité, de conditions d'interpellation et souvent de
produit. Si dans beaucoup de parquets, des "seuils" sont
évoqués au-delà desquels un usager ne peut
plus être considéré comme "simple",
leur niveau varie selon les produits et selon les parquets.
Plus important encore est le constat que ces seuils peuvent être
:
- soit non explicites et donc variables au sein d'un même
parquet (16 TGI sur les 25 sélectionnés sont dans
ce cas),
- soit explicites mais sans être formalisés (4 TGI),
- soit enfin explicites et affichés, tant au parquet que
dans les services de police (3 TGI).
La question des "seuils" est très litigieuse.
Elle a en revanche le mérite au niveau local de donner une
certaine cohérence à la politique pénale.
|
|
|